Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
436
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qui avait été le témoin de Crémieu-Foa ; cette seule idée préconçue oblitéra son jugement et jusqu’à sa vision matérielle : « Malheureux, s’écria-t-il, ne répète cela à personne ! Il n’y a pas d’officier plus digne de sympathie et d’estime que le commandant Esterhazy ! »

XI

Quand Esterhazy vit le bordereau dans le Matin, il se crut perdu[1]. Il écrivit au colonel Abria, à Rouen, qu’il était malade, forcé d’ajourner son retour au régiment[2] ; et toute la journée et les jours suivants, il alla, affolé, en des courses sans fin, tantôt à pied, tantôt en voiture, chez sa maîtresse, chez Weil, au cercle militaire, envoyant des dépêches, épuisant et dépistant l’agent qui le suivait. Le 11, l’agent le vit courir dans les rues, sous une pluie battante, sans parapluie, comme un fou. « Je ne sais ce qu’il a ; il est vert, rapporta Desvernine à Picquart ; il doit être complètement acculé[3]. » Le même jour, il porta une grande enveloppe chez la fille Pays. Le 12, il sortit de chez lui, dès le matin, en civil, et se jeta dans une voiture que l’agent perdit dans le brouillard. À 2 heures, il ressortit, se rendit chez

  1. Procès Zola, I, 391, Jaurès. Il rapporte, d’après Papillaud, ce propos d’Esterhazy, en novembre 1897, dans les bureaux de la Libre Parole : « Il y a, entre l’écriture du bordereau et la mienne une ressemblance effrayante ; lorsque le Matin a publié le fac-similé du bordereau, je me suis senti perdu. »
  2. Instr. Ravary, 13 déc. 1897, Picquart.
  3. Enq. Pellieux, 27 nov. 1898 ; Instr. Ravary ; Procès Zola, I, 288 ; Cass., I, 170, Picquart. — Ses visites fréquentes chez Weil sont signalées par Desvernine.