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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


conseil d’enquête[1] », il a été nommé, à son retour en France, dans une troupe d’élite (les chasseurs à pied) et dans une garnison de choix[2].

Chez un officier ainsi favorisé, la reconnaissance envers les chefs serait simplement de la pudeur. On va voir dans quel enfer de haine il s’enfonça, pendant ces années d’Afrique, crevant de fiel, déjà prêt à tout, se répandant en menaces sinistres, sans qu’il précise d’ailleurs et sans qu’on puisse deviner le prétexte de ses fureurs.

Cette conquête de la Tunisie a été le premier sourire de la fortune à la France depuis la guerre ; l’amie d’Esterhazy, veuve d’un officier, s’en réjouissait. Esterhazy, au contraire, s’en irrite. Cette guerre, « contre des bergers sans armes et des troupeaux de chèvres qu’on appelle des réguliers noirs », les bulletins de victoire expédiés pour la prise des « murs en carton de la ville sainte de Kairouan… », tout cela est ridicule. « Il est moins dangereux d’assister à ces combats épiques que de traverser le boulevard Montmartre à cinq heures du soir ; c’est honteux de voir tout le remue-ménage que ces généraux font pour quelques cavaliers qui devraient les faire rougir en leur montrant l’exemple du courage et de la hardiesse. » Puis, brusquement, cette même Tunisie, dont il a tourné la trop facile con-

  1. Procès Zola, I, 295, Picquart : « Le colonel Dubuch m’a fait dire (à Tunis) par le commandant Sainte-Chapelle qu’Esterhazy avait eu, en 1882, à Sfax… » etc. « Grâce à la longanimité très grande de l’autorité militaire et à ses supplications, Esterhazy avait échappé au conseil d’enquête et au conseil de guerre… Le fils du général La Rocque m’a dit qu’Esterhazy avait été surveillé par son père, alors que celui-ci commandait la subdivision de Constantine. » — Ses relations affichées avec Bulow, l’attaché militaire allemand, contribuèrent à le rendre suspect.
  2. À Marseille, en 1884.