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HENRY


soupçonna Dreyfus ; l’initiale, conventionnelle, désigne peut-être quelqu’un dont le nom ne commence pas par cette lettre. Pour conclure, il constate que la communication clandestine, illégale, qu’a révélée le journal officieux, n’a été l’objet d’aucun démenti. Comment l’opinion a-t-elle pu être égarée à ce point qu’elle ne s’est pas émue d’une telle violation de la loi ? « Si l’on admet de semblables abus de pouvoir, la liberté de chacun est compromise ; elle est à la merci du ministère public, on enlève à tout citoyen accusé les garanties les plus élémentaires de la défense. »

J’avais reçu, dans les premiers jours de septembre, la visite de Bernard Lazare. Il m’avait envoyé le recueil de ses articles sur l’antisémitisme (sa polémique contre Drumont), et j’avais exprimé, en conséquence, le désir de causer avec lui. Au cours de la conversation, je lui dis que j’étais persuadé de l’innocence de Dreyfus. Il me répondit qu’il en était certain et qu’il avait écrit, sur des renseignements fournis par la famille du condamné, une brochure pour dénoncer la terrible erreur judiciaire. À partir de ce moment, je le vis fréquemment, mais sans entrer encore en relations avec Mme Dreyfus ni avec Mathieu.

La publication du mémoire une fois décidée, on se préoccupa d’un éditeur. Comme Mathieu craignait de n’en pas trouver, à Paris, qui affrontât les risques d’une poursuite, Bernard Lazare porta son manuscrit à Bruxelles. Le mémoire y parut le 6 novembre sous ce titre : Une erreur judiciaire, la vérité sur l’affaire Dreyfus[1]. Il fut tiré à trois mille exemplaires et envoyé par la poste, sous enveloppe fermée, aux membres du Parlement, aux notabilités judiciaires et aux journaux. La dépense totale fut de 1.686 francs.

  1. Imprimerie Veuve Monnom, 32, rue de l’Industrie.