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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

vélée. Il tenait, en effet, de l’un des juges de Dreyfus[1] qu’ils avaient assis leur conviction sur des pièces qui auraient édifié Demange, s’il les avait connues[2]. De ce que Dreyfus a été condamné illégalement, l’avocat Salles n’a pas conclu que le malheureux l’a été injustement. Et il ne s’était pas inquiété pour le prisonnier de l’île du Diable, mais pour ses juges. Il s’était efforcé d’expliquer à son interlocuteur que cette communication de pièces ignorées de la défense est une violation de la loi et du droit ; si elle devient publique, elle fera annuler le jugement : « Taisez-vous, avait-il dit à l’officier, ne racontez plus jamais cela à personne, car, si Dreyfus a commis un crime de lèse-patrie, vous avez commis un crime de lèse-justice ! — Comment, avait répliqué l’officier, mais c’est le ministre de la Guerre qui nous a envoyé le document ! » Or, ce secret pesait à Salles ; dans l’intérêt de Demange, dupe d’un traître, il le lui confiait[3].

Bernard Lazare remania son mémoire à la suite de l’article de l’Éclair’, c’est à cet article qu’il répond maintenant et il le réfute point par point. Il donne le texte exact du bordereau que l’Éclair a falsifié, affirme que la pièce secrète ne contient pas le nom de Dreyfus, mais seulement l’initiale D…, et en allègue cette preuve que, longtemps avant la découverte du bordereau, cette pièce a été connue de l’État-Major et que nul alors ne

  1. Salles ne nomma pas ce juge à Demange ; celui-ci a toujours cru qu’il s’agissait du commandant Florentin.
  2. « Me Demange, dit l’officier le plus naturellement du monde, n’a pas vu ce que nous avons vu. — Comment, il n’a pas vu !… Et, alors, naïvement, l’officier raconta la communication faite en chambre du conseil. » (Récit de Salles à Demange, rapporté par Demange à un rédacteur du Matin, n° du 7 février 1898.)
  3. Procès Zola, I, 382, Demange ; Souvenirs de Mathieu Dreyfus ; Matin du 7 février 1898.