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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


c’est que Boisdeffre, qui ne s’est pas trompé en affirmant le crime de Dreyfus, apparemment ne se trompe pas davantage en dénonçant les indiscrétions de Picquart. Pourtant, il lui en parlera. Cet ancien favori de Galliffet, — et Billot a toujours détesté Galliffet, qui ne l’a jamais estimé, — décidément, n’est qu’un rêveur, et aussi dénué de jugement que de sang-froid. On l’éloignera sans bruit, sans scandale, et dans son intérêt comme dans l’intérêt commun.

Pourquoi Billot eût-il suspecté cette pièce décisive, « cette preuve formelle », trop opportune sans doute, mais apportée par Henry, le plus loyal des hommes, venue en droite ligne, par la voie ordinaire, de l’ambassade d’Allemagne, et d’un graphisme aussi semblable, pour le moins, au graphisme ordinaire de Panizzardi que l’écriture du bordereau à celle d’Esterhazy ?

Et pourquoi, au seuil de ce drame des faux, aurait-il eu un sens critique plus aigu que n’en auront par la suite tant d’autres, juristes et historiens, écrivains et politiques de toute sorte, dont la vie se passe à étudier des textes ?

L’animal-homme marche sur deux pieds et croit ce qu’il veut croire, ce qu’il lui est commode, agréable, utile de croire. L’absolue sincérité envers soi-même est la plus rare des vertus.

Il n’y eut alors qu’un homme qui dit brutalement, quand la pièce lui fut communiquée, que le faux était stupide et qu’une pareille prose ne saurait être attribuée par un homme de bon sens qu’à un attaché militaire auvergnat. Esterhazy appela ce faux d’Henry « le document de Vercingétorix[1] ».

La bataille parut gagnée.

  1. Esterhazy, Dessous de l’affaire Dreyfus, 70 : « Il est impossible que cette pièce pût être prise au sérieux par quelqu’un de sérieux l’examinant sérieusement. »