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HENRY


qu’il avait, en l’absence d’Henry, fouillé dans les dossiers secrets de l’affaire Dreyfus. À la grande surprise de Guénée, Picquart lui a posé diverses questions, notamment celle-ci : « Croyez-vous à la culpabilité de Dreyfus ? » Sur quoi, Guénée, avec énergie : « Absolument, mon colonel. » Alors Picquart, s’épanchant, a déclamé que l’affaire a été menée de façon peu correcte, que des pièces secrètes ont été communiquées aux juges et qu’il a consulté, « comme il fait dans toutes les affaires délicates, un vieil ami qui demeure près du ministère et qui ne s’est jamais trompé ». Le policier concluait en exprimant son honnête surprise d’un tel aveu ; « il ne pouvait croire que le chef d’un service important, où se traitaient des affaires tenant à la défense de la patrie, pût demander conseil à un civil, fût-ce un ami intime ».

Guénée, ménageant lui aussi ses effets, élève excellent d’Henry, ne nomme pas encore Leblois ; mais tout, dans cette dénonciation d’un misérable agent contre son chef, désigne l’avocat.

Aussitôt Henry communique ce rapport à Gonse, qui le fait voir à Boisdeffre. Ainsi Picquart continue à divulguer les secrets d’État ! Peut-on lui laisser plus longtemps le dossier secret ? Mais Picquart a-t-il vraiment tenu ces propos singuliers à Guénée ? Leblois est-il à Paris ? Comment Picquart commet-il l’imprudence de lui montrer le dossier, au ministère, dans son cabinet, sans en fermer la porte, quand Henry, Gribelin, Gonse y entrent librement ? Ce petit dossier, pourquoi ne le met-il pas simplement dans sa poche pour le faire voir à Leblois, chez lui, à deux pas du ministère[1] ? Gonse ni Boisdeffre ne se font aucune de ces objections. Et

  1. Instr. Fabre, 89, Picquart.