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HENRY


le ministre, qu’il y a danger à confier quoi que ce soit à cet officier en proie à son idée fixe, aigri, sournois, indiscret par système.

Henry lui a déjà fait attribuer l’article de l’Éclair qui révéla les pièces secrètes. Le dossier secret, Picquart l’a gardé depuis qu’il se l’est fait remettre par Gribelin. Pourquoi ? Pour continuer à le communiquer à des tiers.

Un jour, entrant dans le cabinet de Picquart, Henry a aperçu le dossier sur la table du colonel[1]. Celui-ci causait avec un visiteur, probablement le commissaire spécial Mittelhauser, mais de tout autre chose[2]. Henry note l’incident dans sa mémoire. C’est le germe.

Pour incriminer Picquart, il va suffire de faire de ce visiteur l’avocat Leblois, l’ami intime du colonel, son

  1. Instr. Fabre, 37, Picquart : « Je reconnais parfaitement avoir reçu diverses personnes lorsque ce dossier était sur ma table et l’avoir, pendant ces visites, simplement retourné, de sorte que le titre échappait à la vue et que le paraphe seul d’Henry était apparent, » — De même, Cass., II, 163.
  2. Instr. Fabre, 87, Picquart. Il dit qu’il a reçu, notamment, à cette époque, Mittelhauser et Hennion, commissaires spéciaux, Paléologue et Delaroche-Vernet, secrétaires d’ambassade, Poligny, ingénieur qui s’occupait alors de la construction d’un appareil photographique instantané. « Ils venaient pour le service. » Il se demande si Henry et Gribelin n’ont pas pris l’un ou l’autre de ces visiteurs pour Leblois. (Interrogatoire du 30 juillet 1898.) — À la confrontation du 8 août suivant, Henry maintient qu’il a bien vu Leblois, « mais ses affirmations sont plus molles ». « Voyons, Henry, demande Picquart, ne serait-ce pas plutôt l’un des commissaires spéciaux, Mittelhauser, qui est Alsacien, Hennion, qui est blond ? » Henry hésite : « Ah ! Mittelhauser, avec sa barbe blonde, je ne sais… » (Cass., I, 211, Picquart.) Le juge Fabre ne transcrit pas cette scène, mais seulement cette question qu’il posa lui-même : « Considérez-vous qu’il soit absolument impossible que vous ayez pris une autre personne pour Leblois ? » Et la réponse d’Henry : « Absolument impossible, je ne puis pas le dire ; mais je suis bien certain que c’était Leblois. » (148) — À l’interrogatoire du 18 août, Picquart fait observer « qu’Henry s’est particulièrement arrêté au nom de Mittelhauser » (190).