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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le chargea pas avec une violence malhabile : « C’est un honnête homme, dit-il, et fort intelligent, mais dévoyé[1]. »

Ce même langage, Boisdeffre et Gonse le tiennent à Billot. Ils n’ont garde, eux aussi, quand ils entretiennent le ministre, de faire un crime à Picquart d’avoir cru découvrir une erreur judiciaire et de l’avoir loyalement signalée, même à tort ; mais l’important service, le plus délicat de l’État-Major, souffre de l’idée fixe où s’absorbe le colonel[2]. Picquart s’est distingué autrefois au Tonkin ; Boisdeffre, « par un excès de bienveillance, » propose de l’y renvoyer, dans son intérêt même[3]. Et Billot, trop fin pour ne pas lire dans la pensée de Boisdeffre[4], trop peureux pour repousser un tel avis, et, aussi, trop peu engagé encore pour frapper un officier sans reproche d’une telle disgrâce, Billot résiste d’abord[5]. Il subit apparemment plusieurs assauts ; enfin il formula cette proposition

  1. C’est ce qu’il dira textuellement à l’enquête Pellieux. (28 nov. 1897.)
  2. Procès Zola, I, 141 ; Instr. Fabre, 44 ; Cass., I, 263 ; Rennes, I, 526, Boisdeffre. — Procès Zola, I, 367 ; Instr. Fabre, 17 ; Cass., I, 248 ; II, 160, Gonse. — Cass., I, 549 ; Rennes, I, 172, Billot.
  3. Cass., I, 549 ; Rennes, I, 172, Billot. — Rennes, I, 526, Boisdeffre : « Par un excès de bienveillance, j’ai proposé… etc. »
  4. Boisdeffre dit au procès Zola : « Je ne puis pas appeler « envoyé en disgrâce » un officier envoyé en mission. » (I, 141.) Mais Gonse, plus franc dans l’occasion, donne la vraie pensée de son chef : « Je dois dire que, si le colonel Picquart a été éloigné de l’État-Major de l’armée, c’est parce qu’il n’avait pas notre confiance. » (Cass., II, 160.) Il ajoute que, « si on n’avait pas voulu le ménager à ce moment, on aurait dû le relever immédiatement de son commandement ». C’est Billot qui voulut ménager Picquart à ce moment : « Le ministre ne voulut pas prendre une mesure de rigueur. » (Cass., I, 248, Gonse.)
  5. Cass., I, 172, Billot : « Je résistai d’abord, puis je finis par céder. »