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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


figurât. » Il s’était bien gardé de signer le bordereau ; « deux des experts en écriture, Charavay et Bertillon, le lui attribuaient, les trois autres étaient hésitants[1] ». — Une seule preuve ne laissait aucun doute : la pièce où Dreyfus était nommé. « Il importait que le traître ne pût échapper à son châtiment. » D’autre part, « le ministre ne pouvait se dessaisir de cette pièce confidentielle sans une réquisition de justice. Il fallait donc qu’une perquisition fût opérée au ministère même. Elle eut lieu[2], mais pour éviter au commissaire du gouvernement d’avoir à compulser tant de dossiers secrets, elle se trouva la première à portée de sa main[3]. Il était stipulé toutefois que, même régulièrement saisie, elle ne serait pas versée aux débats. Elle fut donc communiquée aux juges seuls dans la salle des délibérations ; elle acheva de fixer leur sentiment. Ils furent unanimes. »

Cet article de l’Éclair, mélange audacieux de vérités dénaturées et de mensonges à base de vrai, fut reproduit par toute la presse. Il eut des millions de lecteurs. Nul (hors Picquart) ne douta que c’était le témoignage autorisé d’un officier de l’État-Major, initié aux plus secrets détails de cette cause célèbre.

Le récit était bien fait pour inspirer confiance, d’un style sobre, sans colère ; il parut vraisemblable, sérieusement documenté, aux esprits critiques ; il réjouit les lecteurs de romans-feuilletons, amateurs d’aventures policières ; le nom de Dreyfus, dans une dépêche de l’attaché allemand, était une preuve décisive ; la scène,

  1. Gobert et Pelletier conclurent que le bordereau n’était pas de Dreyfus ; Charavay conclut en sens contraire avec Teyssonnières et Bertillon.
  2. Mensonge.
  3. Le commissaire du gouvernement n’en eut pas connaissance. (Rennes, II, 245, Mercier.)