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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment ceux de la missive dans laquelle le traître annonçait renvoi des cinq documents et qui commençait par ces mots : « Je pars… » Or, à ces premiers mots, le capitaine pâlit, sa main trembla, la plume décrivait des arabesques : « Mais écrivez donc droit, mon cher ! » dit le commandant. Dreyfus chercha à se ressaisir, mais, presque aussitôt, sa main fut agitée par un tremblement nerveux : « Qu’avez-vous donc ? reprit le commandant. — J’ai froid aux doigts, » répondit Dreyfus en balbutiant. Pourtant, la température était ce jour-là très modérée, et il y avait du feu dans le bureau[1]. — Le commandant continua sa dictée, mais bientôt Dreyfus lui dit : « Je ne sais ce que j’ai ; il m’est impossible d’écrire[2]. » Sur quoi, Du Paty se leva brusquement, ouvrit la porte d’une pièce voisine ; entrèrent Henry et Cochefert[3]. Celui-ci, mettant la main sur l’épaule de Dreyfus : « Au nom de la loi, dit-il, je vous arrête. » Dreyfus, « bouleversé », feignit de ne pas comprendre, protesta ; mais Cochefert « fit cesser la scène » en le remettant aux mains d’Henry, qui le conduisit et l’écroua au Cherche-Midi. — Quelques heures plus tard, Du Paty et Cochefert se rendaient au domicile du traître et « fouillaient minutieusement » ; mais leurs recherches furent vaines : « les pièces compromettantes avaient été mises à l’abri, probablement dans le coffre-fort d’un complice ». On eut le tort de ne pas perquisitionner « chez les alliés de Dreyfus », — les Hadamard, la famille de sa femme ; — en effet, « l’un d’eux partit, deux jours plus tard, pour l’Italie ; un agent le fila et le vit

  1. C’est, presque textuellement, le rapport de d’Ormescheville.
  2. Mensonge.
  3. Cochefert assistait à la dictée. (Rennes, I, 583, Cochefert ; Instr. Tavernier, 17 juin 1899, Du Paty.)