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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


évadé, mais qu’il a été repris, « fait acquis et qui ne souffre pas de discussion[1] ».

Or, le journal gallois, le vaisseau le Non-Pareil et son capitaine, n’ont jamais existé que dans l’imagination du gazetier anglais qui lança la fausse nouvelle.

Calmette, rédacteur au Figaro, avait reçu les confidences d’un ancien fonctionnaire de la Guyane au sujet de Dreyfus ; il les publia, « l’actualité ayant repris ce malheureux que l’on croyait à jamais oublié, disparu, perdu[2] ».

L’évidente exactitude des détails, une sympathie à peine dissimulée pour le condamné, frappèrent, troublèrent l’opinion. Pour la première fois, le public eut une vision claire de l’homme et le frisson d’un tel martyre. Nul n’eût voulu croire que, depuis deux jours, ce supplice avait été jugé trop doux par un ministre de la République.

On vit l’île, « rocher plutôt qu’île », et, sur ce roc perdu, l’homme gardé, jour et nuit, par six surveillants armés, impassibles, « toujours muets ».

« Lui, s’est enseveli dans ce grand silence, avec une résignation » qui a étonné ses geôliers. « Mais dans ses lettres, fort nombreuses, il répète constamment qu’il est innocent… C’est le même cri stupéfiant, inquiétant, qu’il jetait à l’École Militaire. »

Protestation toujours la même, « identique dans les phrases et jusque dans la cadence des mots » ; le style est monotone, « sans grands élans de compassion attendrie[3] ». Il pardonne à ceux qui l’ont condamné « parce que leur bonne foi a été surprise ».

  1. Libre Parole du 10 septembre 1896.
  2. Figaro du 8.
  3. À ce récit si exact une erreur se mêle du fait, non de l’informateur, mais du journaliste : « Dreyfus déclare qu’il a