Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
LA DOUBLE BOUCLE


plus lui mentir. Le vide même de sa correspondance est révélateur de son martyre. Cependant, il puise dans son infinie tendresse la force de lui taire ce nouveau supplice ; elle en eût trop souffert ; et à quoi bon ? Ce lui fut une douceur de souffrir seul, d’épargner à la bien-aimée cette atroce vision, un tel cauchemar.

Le 12 novembre, quand la porte de sa case lui fut ouverte, il ne vit plus sa grande consolatrice, la mer. Sa prison avait été entourée de deux palissades, hautes de 2m,50, qui cachaient toute vue du dehors. La première de ces palissades, à 1m,50 environ de la case, complètement jointe, était un véritable ouvrage « de défense[1] » ; comme elle était un peu plus haute que les fenêtres de la case, ouvertes à environ 1 mètre au-dessus du sol, Dreyfus, dans l’intérieur de son cachot, n’eut plus ni air ni lumière. À l’est de cette palissade, une autre, non moins jointe, entourait un promenoir de 16 mètres de largeur sur 40 de longueur. Pas un arbre, pas un coin d’ombre. Il fut autorisé à circuler de jour entre ces murs, toujours accompagné par le surveillant de garde. Il ne verra plus, désormais, que le bois de ces remparts et, sur sa tête, le ciel tropical, éclatant d’un soleil aveuglant ou noir de nuées[2].

Ainsi fut encagé Dreyfus. Le gouverneur de la Guyane, dans le rapport où il répondait aux télégrammes apeurés de Lebon et à ses ordres féroces, exposa, non sans courage, que la topographie des lieux, les difficultés d’accès du rocher, l’incessante surveillance, étaient des garanties suffisantes contre toute tentative d’évasion[3]. Lebon réfléchit aussitôt que, peut-être,

  1. Rapport du 12 novembre 1896,
  2. Ibid. ; — Cinq Années, 238.
  3. Rapport du 8 octobre 1896. — Lebon dira, par la suite (Rennes, I, 235, 286, 242, 244). qu’il était fondé à ne pas partager


21