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LA DOUBLE BOUCLE


tembre[1], midi et demi. Il avait lu le journal de Drumont ; il obéissait[2].

Tel fut le premier résultat de la fausse nouvelle lancée par Mathieu Dreyfus.

IV

Les ordres de Lebon surprirent les fonctionnaires de l’Administration pénitentiaire à Cayenne. Ces braves gens ne comprirent rien à cette soudaine cruauté. Mais ils n’avaient pas à discuter. Il leur fallut vingt-quatre heures pour préparer les instruments du supplice.

La veille au soir (3 septembre), Dreyfus avait reçu son courrier, une seule des lettres que sa femme lui avait écrites, en juillet, — les autres avaient été retenues, — et quelques lettres de ses sœurs. Il y sentit, plus douloureusement encore que par le passé, la souffrance des siens faisant écho à la sienne. Ses mains se tordirent, ses jambes tremblèrent sous lui, un cri voulut s’échapper de sa gorge, mais il l’étouffa. Cette page de son journal n’est qu’un sanglot : « Devant une situation aussi atroce, les mots n’ont plus aucune valeur ; on ne souffre même plus, tant on est hébété. Oh ! ma pauvre Lucie, oh ! mes chers et bons enfants ! » Même un cri de vengeance lui échappe : « Ah ! le jour où la

  1. Rennes, I, 249, Rapport officiel sur le séjour de Dreyfus à l’île du Diable. Le télégramme fut expédié à midi 30 minutes du ministère des Colonies, qui est relié au service central de la rue de Grenelle. Il arriva aux îles du Salut à 9 heures du soir, (heure du lieu).
  2. C’est ce que Lebon me dit de lui-même, le 15 septembre 1897, en me racontant dans quelles circonstances il avait donné l’ordre de mettre Dreyfus aux fers. (Voir p. 550.)