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LE PETIT BLEU


grands graphologues du procès de 1894 ; tous deux, violemment, ont conclu contre Dreyfus. C’est à eux, non à Gobert ou à Pelletier, que Picquart montrera les épreuves tirées par Lauth.

Du Paty regarda pendant cinq minutes et prononça : « C’est de Mathieu Dreyfus[1]. » Il soutenait, comme Bertillon, que l’écriture du bordereau était un mélange de celle des deux frères.

Dès que Bertillon eût jeté les yeux sur le fac-similé : « Ah ! s’écria-t-il aussitôt, c’est l’écriture du bordereau ! » Picquart lui dit que la lettre était d’une écriture récente. Bertillon, sans s’étonner, répliqua : « Alors, c’est que les Juifs ont exercé quelqu’un depuis un an pour imiter l’écriture ; ils sont arrivés à l’identité[2]. » Picquart objecta qu’il pourrait lui nommer l’auteur de la lettre : « Vous me diriez que c’est le Président de la République, je maintiendrais mon opinion[3]. »

Bertillon avait dans la tête l’hypothèse d’un homme

  1. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Procès Zola, I, 286 ; Instr. Fabre, 85 ; Cass., I, 154 ; Rennes, I, 430, Picquart. — D’après Du Paty (Cass., I, 446), Picquart lui aurait présenté, à la fois, la photographie « truquée et maquillée » de la lettre d’Esterhazy et celle du bordereau. Sur la réponse de Du Paty, Picquart « parut contrarié ». — La réponse, au contraire, justifiait son diagnostic.
  2. Procès Zola, I, 285 ; Instr. Fabre, 86 ; Cass., I, 155 ; Rennes, I, 431, Picquart. Au procès Zola, Bertillon place cette visite de Picquart au 16 mai 1896 (I, 409), erreur — la seule — dont il soit plus tard convenu.
  3. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Instr. Tavernier, 8 oct. 1898, Picquart. — À l’instruction Tavernier (30 septembre 1898), Bertillon met son propos dans la bouche de Picquart : « Il me répondit quelque chose qui me frappa de stupeur : « Ce document est aussi étranger à l’affaire Dreyfus que s’il venait de la main du Président de la République, et c’est lamentable de constater que l’on a condamné Dreyfus sur une ressemblance d’écriture, alors qu’il était si facile de rencontrer des écritures équivalentes. » Tout cela est nié par Picquart.