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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ces lettres furent interceptées à la poste[1]. Cette violation du secret des correspondances était dans les pratiques ordinaires du service des Renseignements ; Picquart suivit, sans scrupule, ces détestables errements de Sandherr.

Boisdeffre, sur ces entrefaites, rentra à Paris[2]. Gonse, Henry, partirent en congé[3]. Picquart eut plusieurs conférences avec Boisdeffre[4]. Le chef de l’État-Major le traitait en ami, l’invitait à dîner, l’emmenait dans ses promenades à cheval. Il ne chercha alors, à aucun moment, à couvrir Esterhazy, à plaider le doute. « Mais, répétait-il, je ne veux pas d’une nouvelle affaire Dreyfus. On le mettra en réforme, on l’enverra promener, il faut l’éliminer sans scandale. »

Picquart opinait pour l’ouverture d’une enquête judiciaire, mais n’y mettait pas d’amour-propre.

Le 19 août, Esterhazy écrivit à Jules Roche pour le presser d’agir. Il se plaignit, une fois de plus, des rigueurs du destin acharné contre lui : « Je n’ai jamais été heureux. » La commission de revision des grades l’a puni pour avoir eu « la sottise » de dire qu’il eût fallu continuer la guerre. Le « dur traitement » qu’elle lui infligea l’a retardé de plusieurs années. Cependant Gambetta intervint en sa faveur. Puis le sort redoubla d’injustice. En vain s’est-il distingué en Tunisie ; il n’a pu obtenir de faire campagne au Tonkin, à Madagascar.

  1. Elles ont été versées, en 1898, au dossier de l’instruction Tavernier. — Sur la violation du secret des lettres, voir la belle circulaire de Carnot, du 8 mai 1815 : « La pensée d’un citoyen français doit être libre comme sa personne même. »
  2. Il y passa la journée du 16 août, se rendit le 17 à Châlons, revint définitivement au ministère le 18. (Instr. Fabre, 59.)
  3. Gonse, le 15, pour un mois, à Cormeilles-en-Parisis ; Henry, le 20, pour Pogny, jusqu’au 18 septembre ; Gribelin, rentra de congé le 25.
  4. Instr. Fabre, 60 ; Rennes, I, 524, Boisdeffre.