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LE PETIT BLEU


besoin de connaître le genre de vie du commandant Esterhazy, tout ce qui le concerne[1] ». Il se fût fait scrupule de lui communiquer sa crainte que l’armée française comptât un traître de plus et de salir d’un tel soupçon un officier qui pouvait ne pas être coupable. Il recommanda à Desvernine de n’agir que sur des ordres successifs, de se tenir sans cesse en contact avec lui, de ne prendre aucune initiative sans le consulter[2].

L’agent, plus libre, mieux orienté, eût-il trouvé davantage ? Non, puisque Esterhazy était averti. Mais il sut très vite ses embarras financiers[3], son habitude et son goût de l’escroquerie, même pour de petites sommes, ses relations avec la fille Pays.

Esterhazy se rendait chez elle, tous les soirs, en civil, pour ne rentrer que tard, dans la nuit, au domicile conjugal ; parfois même, « dans la journée, il faisait le pèlerinage en tenue[4] ». Il lui avait loué, en son propre nom, — ce qui étonna l’agent[5], — un appartement, rue de Douai, lui servait une « mensualité de cinq cents francs[6] » ; il était, pour le moment, son seul amant. Les concierges, qui doivent des renseignements à la police, dirent qu’Esterhazy recevait peu de lettres

    -vous dans Paris, tantôt au Louvre, tantôt à la gare Saint-Lazare. (Cass., I, 730, Desvernine.) — C’était Gribelin qui, le plus souvent, lui écrivait. (Cass., I, 432, Gribelin.)

  1. Cass., I, 729 ; Rennes, II, 252, Desvernine.
  2. Cass., I, 730, Desvernine.
  3. Le rapport du 17 avril 1896 signale « que des garçons de recette présentaient assez fréquemment des effets qui restaient impayés ». Des notes ultérieures, mentionnent de fréquentes citations en justice de paix et devant le tribunal civil pour le payement de petites créances.
  4. Rapport du 22 avril.
  5. Rennes, II, 251, Desvernine, Rapport de novembre 1896.
  6. Ibid., Rapport du 4 juin.