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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tainement par Henry et sans que Picquart en fût informé. Le directeur de l’Administration pénitentiaire, Guéguen, lisait le courrier de Dreyfus avant de le lui faire remettre. Il marqua de son visa[1] (octobre 1895) une lettre banale, signée : « Votre vieux cousin, L. Blenheim. » Dreyfus n’avait aucun parent de ce nom ; il avait déjà reçu des lettres de ce genre qu’il attribuait à de mauvais plaisants ; il jeta celle-ci, comme il avait fait des autres, dans un tiroir. Ni Guéguen ni lui n’avaient aperçu les phrases suivantes écrites dans les interlignes avec une encre spéciale qu’on trouve dans le commerce, composée d’une solution au nitrate d’argent et de gomme, et qui apparaît, au bout de quelque temps, à la lumière : « Fil rompu. Tâchez renouer. Nos deux tentatives ont échoué. Nous sommes obligés d’être très prudents. On a failli tout découvrir. Faites savoir où était 2249. On connaît l’affaire du Jura 34. » L’auteur de la machination comptait évidemment que ces lignes apparaîtraient pendant le trajet de Paris à la Guyane ; Guéguen aurait aussitôt avisé l’État-Major qu’un complice continuait le commerce du traître sur des indications de l’île du Diable, en langage convenu. Mais comme la lettre, sous l’enveloppe, était exposée seulement à la lumière diffuse, les phrases interlignées ne ressortirent que beaucoup plus tard. Dreyfus ne constata la fraude qu’après son retour en France, quand il classa les lettres qu’il avait reçues à l’île du Diable.

On apporta fréquemment à Picquart des preuves « postérieures » de la culpabilité de Dreyfus. Son sens critique se retrouva pour en reconnaître la nullité ou la fausseté.

Ce fut d’abord une Italienne qui offrait ses services

  1. En haut, à gauche : « Vu, le directeur : Guéguen. »