Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


âgé[1] », et fit de lui le plus intime de ses collaborateurs. Le général Niox avait pour lui une répugnance instinctive. Picquart, tapant sur l’épaule d’Henry, lui dit devant Niox : « N’est-ce pas, Henry, que nous sommes les deux doigts de la main[2] ? »

Tel Iago. Il a sollicité la lieutenance d’Othello qui lui a préféré un jeune rival : « Et quel est cet officier ? dit Iago. Ah ! un grand mathématicien, un certain Michel Cassio, un florentin amoureux qui n’a jamais manœuvré un bataillon en campagne et qui ne connaît pas plus les dispositions du combat qu’une vieille fille, excepté par théories apprises dans les livres et que des gens de robe pourraient expliquer aussi bien que lui : pur babil et aucune pratique, voilà toute sa science de soldat[3]. » Cependant, tout le monde estime le scélérat ; Othello l’appelle « l’honnête Iago », et aussi Desdémone, et Cassio lui-même.

Picquart comptait s’adresser à la Préfecture de police et à la Sûreté générale pour avoir les renseignements demandés par Boisdeffre au sujet de Dreyfus. Henry l’en détourna, le prenant par son faible : « Ces administrations, lui dit-il, sont sous la dépendance des Juifs » ; mieux vaut s’adresser au vieux Guénée, « plus indépendant[4] ».

Guénée, mandé au service, déclara aussitôt à Picquart qu’on avait vu Dreyfus « jouer partout[5] ». Picquart objecta qu’« il y a beaucoup de Dreyfus » et lui fit donner par Henry une photographie du traître, pour

  1. Cass., II, 162, conseil d’enquête, Picquart : « Je l’autorisais à me faire part de toutes ses pensées. »
  2. Récit du général Niox.
  3. Othello, acte 1er scène 1re.
  4. Cass., I, 143, Picquart.
  5. Ibid., 726, Guénée.