Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
LE PETIT BLEU


de plus : un goût très vif de la lecture et de l’art, surtout de la musique, qui élargira son esprit et enrichira sa vie intérieure. Au physique, une taille élancée, des traits réguliers, bien dessinés et un peu secs, une élégance naturelle, une mine grave, prévenaient en sa faveur.

Il se plaisait dans la solitude, sa tâche accomplie, ayant horreur du vulgaire, et vivait beaucoup par la pensée, d’une intelligence très étendue, à la fois solide et fine, sans imagination, et servie par une mémoire impeccable. On trouve en lui moins de chaleur que de lumière ; volontiers ironique, il tempère par la réflexion ses sympathies comme ses antipathies, et s’applique à les tenir en bride ; il se livre rarement, d’une discrétion voulue, qui n’est pas exempte de calcul, et sa raison n’est pas moins pondérée que sa sensibilité. Pourtant la forte logique du jeune officier ne va pas sans quelque candeur ; pour ne les avoir étudiés encore que dans les livres, il ignore les hommes ; et, bien qu’il soit affranchi de toute dépendance religieuse[1], il n’est pas dépourvu de préjugés.

Il porta dans l’action les mêmes qualités, du sang-froid, de la méthode, un courage calme et sans déclamation. Il fit ses premières armes en Afrique, dans la petite campagne de l’Aurès[2], puis au Tonkin, sur la frontière de Chine[3], où il fut cité à l’ordre du jour et, du même coup, à trente-trois ans, reçut le quatrième

  1. Villemar (Mme E. Naville), Essai sur le colonel Picquart : « Depuis l’âge de dix-sept ans, me dit-il, je me suis affranchi de toute dépendance spirituelle et je m’en suis toujours bien trouvé. »
  2. En 1878, comme lieutenant au 4e régiment de zouaves. Il fut attaché, en 1883, au 2e bureau de l’État-Major.
  3. Comme attaché à l’État-Major du général de Courcy et major de brigade (1885-1887).