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LE PETIT BLEU

Gambetta mort, sa pensée fut comprise et reprise. C’est l’ordinaire fatalité que les mesures les plus judicieuses ne sont pas réalisées à l’heure opportune, avec l’homme utile et jeune encore. Miribel fut rappelé, après l’équipée de Boulanger. Il n’était plus le même, vieilli de huit années, alourdi, apoplectique ; pourtant, il fit œuvre de bon organisateur et, travailleur acharné, acheva de s’user à la tâche. Le bénéfice de tant d’efforts fut pour son successeur, Boisdeffre ; politique plus que soldat, c’est lui qui fut inamovible.

Mercier, qui le reçut de Loizillon, le subit. Il domina sans peine Zurlinden, loyal, honnête, mais de jugement court et sans résistance. Une déférence affectée le rendit maître de Cavaignac, dauphin de la République par droit de naissance, insatiable tant qu’il ne coucherait pas à l’Élysée. Enfin Billot, de cette race montagnarde qui paraît simple et à qui l’on n’en fait pas accroire, troupier qui savait son métier, le tenait pour incapable, mais n’osait se brouiller avec ce favori de la fortune. Billot disait volontiers à ses amis républicains[1] que son ministère « était devenu une jésuitière » ; mais il était sans choix sur les moyens de se maintenir aux honneurs et extrêmement pressé d’argent.

Boisdeffre, ambassadeur extraordinaire aux obsèques du tsar Alexandre, le fut encore au sacre du jeune empereur Nicolas II, à cause de sa figure aristocratique, qui paraissait propre à imposer, et du bruit répandu que nul n’était plus agréable aux souverains russes. Il commit des bévues à Moscou, déplut en cherchant trop à plaire, et intrigua contre l’ambassadeur ordinaire de la République, Montebello, dont il convoitait la place. Mais les initiés, qui surent ces histoires, s’en turent ; la

  1. À Scheurer-Kestner, à Ranc.