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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pensée des antisémites : ramener la France à l’unité religieuse. Cette avant-garde du parti clérical combat le franc-maçon et le protestant, bien que Français de France, en même temps que le Juif étranger. Drumont se fâcha ; la controverse finit par un duel[1].

À la Chambre[2], le réquisitoire fut développé par le vicomte d’Hugues et Denis (des Landes) ; le socialiste Rouanet nia le problème de race ; le problème est économique : « Il n’y a pas des juifs ou des chrétiens ; il y a des capitalistes. » Le vieux de Mahy dénonça surtout les protestants. Naquet exposa que « l’antisémitisme emprunte à chaque sentiment ce qu’il a de mauvais et de subversif[3] » ; incidemment, il fit observer que Dreyfus avait toujours protesté de son innocence. La Chambre, ennuyée, après un discours terne du ministre de l’Intérieur[4], vota l’ordre du jour pur et simple. Elle se refusait à proscrire les Juifs, mais craignait de les défendre, méprisait Drumont, mais en avait peur.

    tèrent Alexandrie et jetèrent la populace grecque sur les Juifs. Les deux seconds ont écrit contre les Juifs des livres plus gros que la France juive et plus savants. Leurs noms ne sont même pas connus des antisémites ; c’est peut-être encore moi qui les leur apprendrai. Je l’affirme à Drumont ; il y aura encore des Juifs dans le monde que son nom sera aussi oublié — à moins qu’un Josèphe ne le conserve comme fut conservé le nom d’Apion. »

  1. Le duel, au pistolet, eut lieu le 18 juin 1896 ; deux balles furent échangées sans résultat.
  2. Séances des 25 et 27 mai 1895. — Le 25, Denis se fit rappeler aux convenances par le président Brisson pour ces paroles : « Je me permets d’exprimer le désir qu’on fasse refluer les Juifs vers le centre de la France : la trahison est là moins dangereuse. »
  3. « À la religion, il emprunte l’esprit de fanatisme et d’intolérance ; à l’idée conservatrice capitaliste, il offre l’idée de l’envie et de la peur ; au socialisme, il ne fait appel que par l’instinct du désordre ; et du patriotisme, il ne retient que la suspicion et la haine. »
  4. Leygues.