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L’ILE DU DIABLE


frère, la fatalité a accumulé les coïncidences, similitude d’écriture, mêmes initiales ! Cette déduction (judicieuse et fausse) va permettre de circonscrire les recherches, mais combien difficiles, sous une surveillance de toutes les minutes, et, surtout, sans nul spécimen de l’écriture du traître, sans un fac-similé du bordereau ! Mathieu n’a entrevu l’original que l’espace d’une minute, au greffe de d’Ormescheville ; le dernier jour du procès, après la clôture des débats, le président du Conseil de guerre s’était fait restituer par Demange, par le commissaire du Gouvernement et par les juges, les photographies qui leur avaient été remises et qui furent brûlées[1]. Il en avait reçu l’ordre formel. Sage précaution, dictée par quelqu’un qui savait combien l’écriture d’Esterhazy était répandue.

Les soupçons de Mathieu se portèrent, d’abord, sur un ancien officier, Donin de Rosières, que son frère avait connu à L’État-Major ; il lui avait été déjà signalé, pendant le procès, comme fréquentant un monde interlope et menant, sans ressources normales, une vie coûteuse, « mal noté et besoigneux[2] ». Mais le dénonciateur (Cesti) était lui-même très suspect, un aventurier qui offrit ses services, escroqua de l’argent et disparut. Même, Mathieu avait supposé que Cesti lui était envoyé, par le bureau des Renseignements, pour tendre quelque piège[3]. La révélation de l’initiale

  1. Procès Zola, I, 384, 385, Demange.
  2. Instr. Fabre, 285 ; note du ministre de la Guerre au ministre de la Justice : « Cet officier, besoigneux et mal noté, a été, pendant son séjour au 2e bureau, l’objet de plusieurs réclamations pour dettes. » Plus tard (23 février 1896) : « Renvoyé dans un régiment, il a été traduit devant un conseil d’enquête et mis en réforme. »
  3. En tout cas, Cesti raconta sa tentative à Henry, qui en informa Esterhazy ; celui-ci en parla à Pellieux. (Cass., II, 101, interrogatoire du 25 novembre 1897.)