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L’ILE DU DIABLE


des formes de la lâcheté intellectuelle. On souriait de ses travaux ; on avait brûlé jadis ces alchimistes qui furent, selon le plus illustre des chimistes contemporains[1], les pères de la chimie.

Ce qu’il y avait de vraiment singulier chez Gibert, c’est qu’il était rebelle à cette sérénité d’âme, état normal de la plupart des hommes, devant les malheurs d’autrui. Il avait été jadis volé par un Juif, et il ne maudissait pas tout Israël.

La première fois qu’il le vit au Havre, Mathieu fut également ému de l’exquise bonté du docteur et étonné de ses expériences[2]. Il s’y intéressa, par la suite, et y apporta un vigoureux esprit critique.

Gibert, à l’instante prière de Mathieu, demanda audience à Félix Faure, qui le reçut, le 21 février, au matin, à l’Élysée.

Mathieu lui avait confié, pour qu’il la remit au Président, la lettre où Dreyfus racontait à sa femme les scènes de la Rochelle, la fureur sauvage de la canaille qu’il excusait, puisqu’il était réputé l’auteur du plus affreux des crimes[3]. Cette lettre, « qui aurait fait pleurer des pierres », toucha Félix Faure, « mais sans l’ébranler[4] ». Gibert insiste, expose que les juges

  1. Berthelot, Origines de l’Alchimie.
  2. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  3. Lettre du 21 janvier 1895. (Voir t. I, 567.)
  4. Cette entrevue a été relatée par le Dr Gibert dans une lettre, du 23 novembre 1897, à Gabriel Monod, qui la publia, peu après la mort du docteur et la mort de Félix Faure, dans le Siècle du 24 mars 1899. — Le récit de Gibert fut aussitôt contesté par l’ancien chef du cabinet de Félix Faure. « À la mort du Président, écrivait Le Gall, j’ai eu à opérer le classement de ses papiers ; j’ai alors retrouvé un article du Cri de Paris du 28 février 1898 relatant cette conversation. En marge de cet article, le Président a écrit de sa main : « Ceci est un mensonge. » (Agence Havas du 26 mars.) Monod répliqua : « Aucun de ceux qui ont connu le Dr Gibert et son impeccable