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L’ILE DU DIABLE


admis la ridicule histoire. Il refusa, mais promit dix mille francs pour le nom du coupable. La révélatrice demanda à réfléchir et ne revint jamais[1].

Mathieu essaya d’intéresser des hommes politiques, des journalistes. Le malheureux, « l’honneur incarné[2] », ne faisait ses démarches qu’en tremblant, crainte de la porte brutalement close, de la main refusée. Cependant quelques-uns le reçurent, l’écoutèrent. Le sénateur Siegfried lui promit de recommander son frère au directeur du service pénitentiaire ; Lalance, ancien député protestataire de Mulhouse, dit qu’il était convaincu de l’innocence du capitaine ; de même, le général Jung, député du Nord, ancien chef du cabinet de Boulanger : « Cherchez, dit-il, du côté de Sandherr et de Du Paty. » Pierre Lefèvre[3], Fernand Xau[4], de Rodays[5], Yves Guyot[6], conseillèrent d’attendre que l’opinion fût revenue à plus de sang-froid ; au surplus, les preuves morales ne suffisent pas ; il faut des preuves matérielles, des documents. Judet, dont les articles du Petit Journal avaient été si violents, parut ému, ne découragea point son visiteur : « Vous faites votre devoir. »

Scheurer-Kestner était le dernier représentant de l’Alsace française au Parlement, Nul n’était entouré, dans les Chambres, de plus d’estime. Il appartenait à l’une de ces vieilles familles d’industriels qui firent la prospérité de Mulhouse et portèrent si loin, par leur probité et leur intelligence, la renommée de l’Alsace[7].

  1. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  2. Lettres d’un Innocent, 16 juin 1895.
  3. Directeur du Rappel et du XIXe Siècle, neveu de Vacquerie
  4. Directeur du Journal.
  5. Directeur du Figaro.
  6. Directeur du Siècle, ancien député, ancien ministre.
  7. Scheurer-Kestner, 1883-1899, discours prononcés à ses obsèques et articles nécrologiques ; Charles Lauth, Notice sur la