Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Lucie Dreyfus. Mathieu se fût trouvé complètement démuni si son frère, pendant qu’il était détenu au Cherche-Midi, n’avait pris la précaution de copier l’acte d’accusation et de rédiger quelques notes sur l’enquête judiciaire. Ces précieux papiers furent mis en lieu sûr. Forzinetti continuait d’ailleurs à dire partout que Dreyfus était innocent[1]. Nulle réprimande ne lui fut adressée. Bien qu’atteint par la limite d’âge[2], il fut maintenu au Cherche-Midi. On croyait qu’il avait pris le double des pièces du dossier ; mieux valait le garder sous la férule militaire.

Le service des Renseignements, dès qu’il sut que Mathieu était résolu à poursuivre la revision du procès, le mit en observation ; des agents le filèrent jour et nuit. Demange lui donna de sages conseils : n’avoir chez lui aucun papier, n’en recevoir aucun de mains inconnues, surveiller ses domestiques, ne pas aller dans les grands magasins ; quelque agent secret glisserait dans sa poche un objet dérobé, l’accuserait de vol ; le frère du traître serait perdu.

En effet, des pièges lui furent tendus. Une femme Bernard vint lui dire qu’elle connaissait le vrai coupable, un officier du ministère ; c’est elle qui sert d’intermédiaire entre l’espion et Schwarzkoppen ; la première fois, elle portera les pièces à Mathieu. S’il eût accepté l’offre séduisante, la police eût envahi sa chambre une heure après la livraison des papiers, perquisitionné, trouvé les documents : ainsi Mathieu continuait le commerce fraternel. La femme aurait disparu. Nul n’eût

  1. Il le dit, le jour même de la condamnation, au colonel Clément, aux commandants Sée et Raffet ; puis, le 4 janvier, à un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur ; et, encore, à des journalistes, à Kératry, ancien préfet de police, etc.
  2. 6 février 1895.