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L’ILE DU DIABLE


passagers. D’acclamation, la plus grande fut baptisée île Royale, la seconde île Saint-Joseph ; la dernière, la plus petite, garda seule sa dénomination infernale. On aborda, au milieu des cris de joie, dans ces oasis de l’Océan, mais pour y trouver, derrière le décor luxuriant des palmiers, un roc chauve et aride.

Au bout de six mois, dix mille hommes avaient péri, tant aux îles que dans la pestilentielle savane.

Le climat de la Guyane — l’infection paludéenne et la haute température continue — la prédestinait au rôle de guillotine sèche. Les vainqueurs de Thermidor[1], puis ceux de Fructidor[2], et Bonaparte après Nivôse[3] y déportèrent les ennemis que l’hypocrisie du temps les empêchait de livrer au bourreau. Cette façon de tuer répugna à la Restauration et à la monarchie de Juillet. Le second Empire la reprit. Plusieurs centaines de républicains, mêlés à des forçats, furent transportés aux îles du Salut et à la Montagne d’Argent. Sur 7.000 individus qui furent débarqués à l’île Royale en 1856, 2.500 succombèrent avant la fin de l’année. L’année

  1. Loi du 1er avril 1795. — La plupart des terroristes qui furent déportés en Guyane succombèrent très vite ; Collot d’Herbois, dès juin 1796. Presque seul, Billaud-Varennes résista au climat, demeura jusqu’en 1816 à la Guyane et passa alors à Haïti où il donna des consultations de droit. Son aspect rappelait à Barbé-Marbois, qui le vit à Cayenne, « celui de Socrate ». Il mourut à Saint-Domingue en 1819. (Louis Blanc, Hist. de la Révolution, XII, 197.)
  2. Pichegru et Barthélémy s’échappèrent ; Bourdon (de l’Oise) et Tronson du Coudray moururent après quelques mois ; Barbé-Marbois et Lafond Ladébat furent amnistiés par Bonaparte. « Les Jacobins s’indignèrent que cette abolition philanthropique de la peine de mort commençât par les royalistes. » (Michelet, Hist. du xixe siècle, I, 216.)
  3. Les proscrits de Nivôse « périrent tous, à l’exception de deux ». (Lanfrey, Hist. de Napoléon, II, 265.) — L’ancien conventionnel Talot survécut, Choudieu s’échappa.