Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
L’ILE DU DIABLE


cria en rêve que le vrai coupable ne tarderait pas à être découvert.

Le Gouvernement avait prescrit des précautions extraordinaires : « tout était prêt pour défendre le navire contre une agression en mer[1] ».

« Le prisonnier ayant demandé des livres, on s’est bien gardé de lui donner ceux qui avaient été envoyés par sa famille au dépôt de Saint-Martin-de-Ré ; on ne lui prêta que ceux de la bibliothèque du bord, après s’être bien assuré qu’ils ne contenaient ni papiers ni indications suspectes[2]. »

Il resta indifférent en apparence — supérieur — aux choses[3], d’une soumission toute militaire, qu’on interpréta contre lui.

Dreyfus ignorait la loi qui rétablissait, à son usage, la déportation aux îles du Salut. Où le menait-on ? À la température plus douce, puis torride, il se rendit compte qu’on approchait de l’Équateur. Plus tard, des bribes de conversation entre les surveillants lui apprirent le but du voyage[4].

  1. Chambre des députés, séance du 18 novembre 1896, discours de Castelin : « L’honorable M. Chautemps s’exprimait ainsi dans un interview : « La date de son embarquement à « l’île de Ré dut être tenue secrète afin d’éviter un coup de main. « À bord du paquebot, tout était prêt pour se défendre d’une « agression en mer. »
  2. Rennes, I, 48, Rapport du Dr Ranson. — Et encore : « Jamais un vêtement ou un objet quelconque ne lui fut remis sans avoir été, au préalable, visité dans ses moindres détails… Dreyfus, ayant eu le mal de mer, m’a demandé à prendre l’air sur le pont, chose que j’ai refusée. »
  3. « Pendant tout le voyage, il fit preuve du plus grand sang-froid et, je dirai plus, de la plus grande indifférence… Une fois seulement, assis sur son escabeau, il sanglota pendant une dizaine de minutes. » (Rapport Ranson.)
  4. Alfred Dreyfus, Cinq Années de ma vie, 88.