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ESTERHAZY


comédien s’en ira, à la porte des synagogues, débiter sa fable :

La campagne de la Libre Parole avait été « si bien vue dans l’armée que le capitaine Crémieu-Foa n’avait pu trouver un seul officier chrétien qui consentît à lui servir de témoin[1] ». — Mensonge, puisque Crémieu, avant d’avoir pressenti aucun de ses camarades, fut saisi au passage par le fourbe. — Esterhazy était alors « un très brillant officier de guerre, avec une certaine réputation comme homme d’épée, s’étant souvent battu ». — Il n’eut jamais un seul duel. — La veuve du général Grenier[2], « dans une lettre désolée, lui avait demandé, comme un service immense, d’aider le capitaine de l’autorité de son nom ». — Mensonge encore : il s’offrit lui-même ; Mme Grenier[3] et son fils blâmèrent Crémieu d’avoir relevé le défi de Drumont[4]. — Ainsi, Esterhazy avait, ce jour-là, « sauvé aux Israélites un formidable affront devant l’armée tout entière ».

Mouvement « chevaleresque, mais stupide » que celui qui l’avait emporté au secours de l’officier juif. D’une part, les Crémieu l’ont payé d’ingratitude[5] ;

  1. Lettre du 11 novembre 1896 à Grenier.
  2. Son fils avait épousé la sœur des Crémieu.
  3. Je tiens de Mme la générale Grenier elle-même que cette lettre ne fut jamais écrite et que, dès 1892, le rôle d’Esterhazy dans l’affaire Crémieu-Foa lui parut suspect.
  4. « Et j’entraînai avec moi le capitaine Devanlay, qui peut l’affirmer. » — Autre mensonge : Ernest Crémieu alla lui-même, à Saint-Germain, demander le concours de Devanlay, « qui avait été, à Saint-Cyr, le camarade de son frère et qu’il ne fut pas nécessaire d’entraîner.
  5. Ernest Crémieu, qui n’était pas riche, après avoir fréquemment obligé Esterhazy, lui avait refusé, récemment, un nouveau prêt de 2.200 francs. Esterhazy lui répondit aussitôt par des injures. Cette ingratitude a rempli son âme d’une « douloureuse surprise ». Mais il est « chrétien et soldat » : pour toute vengeance, il épinglera la lettre de refus sur une lettre du « pauvre André », qu’il a tant aimé. (31 mars 1893.)