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Menacé des horreurs de la famine, le Canada était forcé de mettre ses colons à la ration, et Bigot écrivait, le 22 mai 1759 : « Le peuple de Québec est réduit à une demi-livre de pain par tête, et le riche à un quarteron. »[1]

À Ville-Marie, le pain commençait à manquer aussi et Mme d’Youville se condamna, avec ses compagnes, à ne manger que du maïs au déjeuner ; le pain vint même à leur manquer complètement.

Cet état d’épuisement et de détresse de la colonie à l’époque de la cession à l’Angleterre n’était pas, toutefois, à ce moment, le seul sujet des préoccupations de Mme d’Youville. La foi ardente de cette sainte femme lui faisait envisager avec terreur l’établissement d’un régime absolument antipathique à sa croyance. Aux horreurs de la guerre et de la famine et à la douleur causée par le changement de domination venait encore s’ajouter la crainte de voir disparaître la religion de sa chère patrie. « Priez Dieu, » écrivait-elle à l’abbé de l’Isle-Dieu, « qu’il me donne la force de bien porter toutes les croix et d’en faire un saint usage. En voilà bien à la fois : perdre son roi, sa patrie, son bien, et, ce qui est pis encore, être dans la crainte de voir s’éteindre notre sainte religion. »[2]

« Nous nous étions toujours flattés que la France ne nous abandonnerait pas, » écrivait-elle encore ;

  1. M. Faillon, p. 150.
  2. Lettre du 18 septembre 1765.