Page:Jaures - Poemes.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 28 —

qui accomplirait, en philosophie, une révolution analogue à celle de Copernic serait celui qui, au lieu de s’appuyer tout d’abord sur le moi présumé immobile, ferait entrer le moi dans le système vivant de la conscience infinie.

Car enfin : ou bien, lorsqu’il soumet les choses à la législation du sujet pensant, Kant entend par là le moi humain, et alors il fait tourner l’infini autour de la terre, il va au rebours de Copernic ; ou bien il entend, par le sujet pensant, la pensée et la conscience absolue, avec ses conditions et ses lois d’unité auxquelles les choses se soumettent ; et alors c’est l’absolu lui-même sous la forme de la conscience et de la pensée ; c’est l’infini, c’est Dieu. Et cela revient à dire tout simplement que c’est autour de Dieu que tourne le monde, que Dieu est le centre véritable de l’univers…

Et aujourd’hui, de même que nous ne pouvons observer l’infini sans la terre et comprendre la terre sans l’infini, nous ne pouvons connaître Dieu sans le moi et comprendre notre moi sans Dieu. Il n’y a pas d’effort d’abstraction qui puisse isoler la terre de l’infini ; il n’en est point qui puisse isoler le moi humain de Dieu. Mais ce n’est pas à un centre physique et grossier d’attraction que la terre est soumise, c’est à un centre idéal et divin qui est présent et agissant en elle, comme il est présent et agissant partout. En sorte que, par sa soumission à l’infini, la terre redevient centre, en un sens plus haut ; elle n’est pas subordonnée à une autre partie du monde ; elle est libre en Dieu et par Dieu. De même, le moi humain ne relève pas de la conscience divine comme d’un autre moi particulier et déterminé. Le moi humain n’est pas la conscience absolue, mais la conscience absolue est en lui comme elle est partout. C’est la superstition philosophique ou religieuse qui fait de