Page:Jaures - Poemes.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 23 —

quelque sorte organique, avec la pensée elle-même à l’état naissant. Ce n’est pas quand la pensée s’est développée en forme distincte d’idée que la lumière vient à s’unir à elle ; elle la surprend et la pénètre à l’état organique, et elle constitue par là même, dans notre cerveau, un milieu subtil et joyeux où toutes les idées quelles qu’elles soient, où toutes les formes quelles qu’elles soient, se meuvent plus heureuses et plus belles. À la lettre, nos pensées, dans leur milieu cérébral, baignent dans la lumière, et il peut arriver que l’action prolongée de la lumière radieuse et immense, abolissant le sentiment organique spécial à notre cerveau, élargisse un moment notre conscience jusqu’à la confondre avec l’horizon plein de clarté. Il m’est arrivé, après avoir marché longtemps dans la lumière enivrante de l’été, de ne plus me sentir moi-même que comme un lieu de passage de la lumière ; mes yeux me faisaient l’effet de deux arches étranges par où un fleuve de lumière, se développant en moi, submergeait et effaçait peu à peu les limites organiques de ma conscience.


III. ― Tous les êtres cherchent leur voie en chantant ou en gémissant. Et les grands souffles qui, le soir, semblent hésiter sous le ciel et demander leur chemin à la forêt sombre sont bien le symbole de toute vie. Au contraire, les astres ont beau être suspendus de proche en proche à un centre idéal et mystérieux ; ils ont beau, subissant des actions et des réactions illimitées, décrire des courbes riches d’infini qu’aucune formule mathématique n’épuisera complètement, ils ne cherchent pas, ils ne tâtonnent pas. Il y a dans leur mouvement une certitude impeccable. Leur aspiration éternelle est éternellement réalisée par la précision des évolutions géométri-