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du 4 septembre. Oui, et l’on peut même prétendre qu’en tant que mouvement républicain, la Commune n’a pas échoué complètement, que sous sa pression, Thiers, pour contenir les grandes villes de province frémissantes, dut promettre la République maintenue et ne put ensuite ou ne voulut défaire ce qu’il avait fait sous le coup de la nécessité. Il est permis de dire encore que la Commune fut un mouvement communaliste, qu’elle se proposa des fins de décentralisation, de large autonomie administrative et politique, et plusieurs même ont été jusqu’à avancer cette opinion légèrement hasardeuse que ce fut là sa pensée maîtresse, son idée rectrice et comme son legs testamentaire.

Oui, toutes ces affirmations comportent une part, souvent une large part de vérité. C’est qu’aussi bien la Commune, pas plus du reste qu’aucune autre Révolution, ne se développa selon un schéma doctrinaire préconçu, sur une sorte de plan idéal, dans le vide de l’abstraction. Heurtée, chaotique, mouvante comme la vie elle-même et comme les circonstances extraordinaires où elle avait trouvé naissance, elle s’offre au spectateur avec les caractéristiques les plus diverses et parfois les plus disparates. Patriote, républicaine, communaliste, certainement elle fut ces choses et d’autres encore. Mais avant tout, surtout, par dessus tout, elle fut prolétaire, partant socialiste, car le prolétariat en mouvement ne peut agir et combattre que pour un but socialiste. Elle fut — et c’est ce que la conscience populaire a bien vu et senti et a seule vu et senti — une insurrection ouvrière qui mit debout exploités contre exploiteurs, d’abord pour la garde de leurs armes qu’on leur voulait arracher, pour leur émancipation ensuite. Elle fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout, d’un républicanisme qui n’était qu’un socialisme s’ignorant et qui allait jusqu’à menacer les bases mêmes du vieil ordre social et à évoquer un ordre nouveau, Qu’elle fut vaincue et que vaincue elle fut égorgée.

Nous avons dit, et nous ne nous en dédisons pas à la réflexion, que la Commune révolutionnaire, mettant d’aventure la main sur le pouvoir au cours du siège, réussissant son 31 octobre ou son 22 janvier, aurait pu s’implanter et durer. Pourquoi ? Parce qu’elle serait apparue essentiellement comme patriotique et qu’elle l’eût été, ne l’eût-elle pas voulu. Contre l’envahisseur, elle déterminait mécaniquement peut-on dire la concentration nationale et soudait, en tout cas pour un temps, au prolétariat en armes la bourgeoisie petite et moyenne. Elle entraînait au combat et captait et se subordonnait, par suite, des catégories sociales qui en d’autres conjonctures devaient échapper à ses prises et elle avait latitude pour effectuer, aux dépens de ces catégories sociales mêmes, des réformes profondes, légitimées par les circonstances du moment et qui auraient sans doute survécu à ces circonstances. Elle eut ainsi brûlé une étape sur la route de l’évolution, créé pour le moins la République démocratique que nous sommes à attendre encore.