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à Montmartre, les femmes se jetaient courageuses entre les soldats et les émeutiers et la ligne levait crosses en l’air, livrant ses officiers. Dans l’après-midi, une centaine de soldats déserteurs venait grossir les effectifs révolutionnaires. Le plan de Digeon, qui avait pris pour titre : commandant des forces républicaines de l’arrondissement de Narbonne, était simple. Maître de Narbonne, il ne voulait pas s’y enliser, attendre qu’on l’en vint déloger : il voulait, au contraire, prendre contact au plus tôt avec les centres d’alentour, de l’Aude et de l’Hérault : Carcassonne, Béziers, Cette, Montpellier, où il avait des intelligences, les solidariser, les fédérer et, poussant plus loin, tendre la main à Toulouse, à Marseille, debout déjà, et soulever tout le Midi. Chose possible, chose faite si le temps lui était laissé, si les troupes, dont le gouvernement versaillais pouvait disposer dans le sud de la France, étaient immobilisées autour de leur garnison respective et n’accouraient pas toutes ensemble l’accabler. Le 28, étaient arrivées deux compagnies de turcos, se ruant comme à une razzia : mais cela n’était pas encore un danger. L’Hôtel de ville avait été fortifié, les rues barricadées et les brutes en uniforme tenues en respect. Dans la rencontre, les insurgés n’avaient eu qu’un tué et trois blessés. Malheureusement, le 30, la situation changeait du tout au tout. On apprenait que l’insurrection était vaincue à Toulouse, comme à Lyon, comme à Saint-Etienne. Contre Narbonne, allait donc pouvoir porter l’effort total des généraux de l’ordre dans cette région. Le 31, le vainqueur de Toulouse, le général Zentz, se présente avec des forces imposantes. Bombardement ou reddition, c’est en ces termes qu’il s’annonce. Les soldats déserteurs, qui avaient rejoint Digeon les jours précédents, l’abandonnent. Les gardes nationaux, sentant la partie perdue, la résistance inutile, se retirent de leur côté. Digeon reste seul. Il refuse cependant de quitter l’Hôtel de ville. Des amis l’enlèvent par violence, lui procurent un asile : mais le vieux républicain ne consent ni à fuir, ni à se cacher. Le 2 avril, il est arrêté et emprisonné.

À cette date, hors Paris, une seule citadelle de la rébellion républicaine et ouvrière, Marseille n’avait pas succombé : À Marseille, l’insurrection s’était élargie immédiatement en une révolution véritable, présentant en raccourci dans sa marche hâtive toutes les péripéties qui avaient déjà marqué ou devaient marquer dans son développement la propre Commune de Paris. Depuis six mois, peut-on dire, Marseille n’avait pas cessé de vibrer à l’unisson de la Capitale. Au 4 Septembre, elle proclamait la République à l’heure même où sur les bords de la Seine le peuple envahissait le palais du Corps législatif, le 31 octobre, elle avait sa journée de sursaut patriotique contre les dirigeants incapables et traîtres. Maintenant, c’était l’Assemblée nationale sur qui elle avait concentré ses exécrations et ses colères. La nouvelle de la Révolution du 18 mars fut accueillie avec un enthousiasme confinant au délire. Le 22, dans une réunion tenue à l’Eldorado, devant un immense concours de peuple, Gaston Crémieux, l’Officiel de Paris en mains, commenta éloquemment les