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que temps après, était venu fortifier la bonne opinion qu’il avait de cette tactique.

Il proposa donc. Les ministres résistaient. Il passa outre. Il convainquit les généraux ; et c’était l’essentiel. « Je suis soldat, dit Vinoy, commandez. » Et l’ordre fut donné aux troupes de se replier sans combat, derrière la Seine, sur la rive gauche, pour commencer.

Cependant d’Aurelle de Paladines faisait battre à revers de bras le rappel et la générale dans tous les quartiers du Centre invitant les bourgeois à se saisir de leurs armes avec résolution et à se joindre aux troupes régulières « pour rétablir le régime des lois, sauver la République de l’anarchie ». Thiers qui, semble-t-il, n’avait guère confiance en cette ultime ressource, y alla néanmoins aussi de sa proclamation « aux gardes nationaux de Paris », leur demandant de se lever pour défendre d’un commun accord la Patrie et la République contre les représentants des « doctrines communistes » qui se disposaient « à mettre Paris au pillage et la France au tombeau. »

De fait, les bourgeois restèrent terrés chez eux, malgré tant et de si véhémentes adjurations. Les conservateurs, les défenseurs de l’ordre et de la propriété, les amis du gouvernement, s’il y en avait à ce moment dans la capitale ne bougèrent pas ou presque, puisque là où on espérait 15 ou 20.000 hommes, on en réunit péniblement 500. L’épreuve était décisive et Thiers ne songea plus qu’à déguerpir par les voies les plus rapides. Il évacua le premier, laissant derrière lui l’ordre d’évacuer complètement et immédiatement, d’évacuer Paris, les forts du sud, Courbevoie, même le Mont-Valérien et de rabattre toutes les troupes sur Versailles.

Il était temps. Les appréhensions du fuyard correspondaient à la réalité vraie. Ceux qui ont vu, de leurs yeux vu, parmi les observateurs avisés, les régiments s’acheminant sur Versailles, traînant le pas, injuriant les gendarmes qui les encadraient, en ont gardé une impression qui montre combien la Révolution était plus victorieuse qu’elle ne le supposait.

M. Hector Pessard, un intime et un confident de Thiers, a écrit sur cette retraite une page qui fait image. « Sur la route de Versailles, dit-il, M. Thiers bat en retraite devant l’insurrection, tandis que des bandes en désordre, poussées par la gendarmerie, représentent ce qui reste de l’armée française. À mesure que la nuit tombe, l’immense troupeau humain se fait plus rétif. Dans l’ombre qui noircit tout, la couleur des uniformes s’efface. On se croirait au milieu de bataillons de fédérés. Par quel prodige, ces hommes à la mine insolente et à l’allure rebelle ne se retournent-ils pas, fusillant, avant de regagner Paris, les voitures qui emportent le gouvernement ? Sur les flancs de la colonne, la rage au cœur, humiliés et indignés, les officiers feignent de ne pas entendre les propos malséants. Ils ont le sentiment que tout acte de rigueur serait suivi d’un acte de révolte ouverte. Ils se contiennent pour ne pas briser