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Tout l’esprit de la Commune y était et aussi — et ce n’est pas la remarque la moins suggestive — les hommes de la Commune. Sur les 46 signataires de l’affiche on retrouve, en effet, les noms de 11 de ceux qui devaient être, en mars ou avril, envoyés par le peuple de Paris à l’Hôtel de Ville : Cluserel, Demoy, Johannard, Lefranrais, Ch. Longuet, Benoit Malon, Oudet. Pindy, Ranvier, Ed. Vaillant, Jules Vallès ; et d’autres noms encore, comme ceux de Genton, de Millière, qui, lors de la répression versaillaise, s’inscrivirent au martyrologe des derniers défenseurs du drapeau rouge.

À ceci rien de surprenant, puisque le Comité central, la Corderie n’étaient en somme que le centre de ralliement des éléments les plus ardents, les plus militants, les mieux informés aussi, de ceux qui sondaient du coup d’œil le plus exercé et le plus sûr les douteuses perspectives de l’avenir. Toute la vie intense et tourmentée de la grande cité assiégée y refluait, s’y concentrait, s’y exaspérait ; son vouloir obscur de délivrance et d’émancipation s’y faisait conscient ; ses aspirations s’y matérialisaient en résolutions et en actes. La Corderie siégeait en quelque sorte en permanence. Les délégués des vingt arrondissements s’y rendaient chaque jour, l’après-midi, dans leur costume de garde national, ligne ou artillerie. Ils apportaient les nouvelles de leur milieu, s’éclairaient, se concertaient et décidaient ; puis revenaient le soir dans leur arrondissement respectif apporter au siège des Comités locaux, dans les clubs de quartier, les informations générales puisées à source sûre, dévoiler à leurs commettants les ressorts cachés des événements et leur communiquer les mesures convenues pour conjurer le péril grandissant, la trahison de plus en plus menaçante des gouvernants.

Paris ouvrier, socialiste et révolutionnaire, vécut ainsi pendant cinq mois d’une vie d’ensemble qui, depuis ce moment, ne s’est pas encore retrouvée ; vibrèrent à l’unisson des mêmes colères et des mêmes espoirs, solidaire dans une même pensée et un même effort.

Les clubs, les Comités de vigilance et la Corderie, leur expression centrale, étaient les organes générateurs de cette agitation incessante et réglée. Ils avaient assumé et exerçaient les fonctions de relation et de propulsion, suppléant au traditionnel et habituel moteur, à la presse. Non pas que la presse fût muette en ces temps. Des gazettes quotidiennes il en était poussé, peut-on dire, entre les pavés : les réactionnaires étaient demeurées, et, à côté, des feuilles d’avant-garde éclosaient tous les matins. Tous les hommes qui s’étaient tus sous l’Empire, Les exilés, les embastionnés avaient chacun leur tribune, y parlaient haut et fort ; mais la claire vision des événements, la nette perception des actes de salut à accomplir manquait, même aux mieux intentionnés, aux plus résolus, à ceux dont un passé entier de lutte et de sacrifice inspirait la confiance et commandait le respect. Même le Réveil, de Delescluze, même la Patrie en Danger, de Blanqui, ne donnaient pas, dans les débuts du