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que le comte de Bismarck et le ministère prussien regrettent l’attitude et les dispositions du Roi à l’égard du comte Benedetti, et que, en vue de l’opinion publique en Allemagne, ils sentent la nécessité de prendre quelque mesure décisive pour sauvegarder l’honneur de la nation ».

Évidemment, à cette minute précise, M. de Bismarck ne savait pas encore que M. de Gramont avait demandé des garanties pour l’avenir, ou peut-être pensait-il que de cette exigence nouvelle, si elle ne prenait pas la forme d’un ultimatum, la guerre ne sortirait pas. Il cherchait un autre terrain d’attaque. S’il regrettait l’attitude du roi, il l’utilisait. Ce serait la part faite à la paix, la preuve donnée des intentions pacifiques de la Prusse. Mais plus elle se montrait accommodante sur la question espagnole, plus elle avait le droit d’être exigeante sur la question allemande, pour l’honneur national blessé. C’était hardi jusqu’à la démence, et si la diplomatie française avait été habile et sage, M. de Bismarck était acculé à une entreprise désespérée et insensée. Pour s’expliquer un pareil dessein, ou il faut admettre qu’en effet les cœurs allemands allaient faire explosion en d’irrésistibles colères et que le ministre devait à tout prix, même au prix de la provocation la plus folle, donner satisfaction à l’instinct national révolté, ou il faut supposer que M. de Bismarck déconcerté par le lamentable échec de sa combinaison perfide et affolé par la peur de perdre son prestige, n’avait plus le sens du réel et du possible. Comment aurait-il pu, en effet, si la France avait déclaré nettement que la renonciation sous la forme même cherchée par le roi, lui suffisait, comment M. de Bismarck aurait-il pu rouvrir le conflit ? Quel titre aurait-il eu à demander à la France des garanties pour l’avenir ? La meilleure garantie de sagesse que pouvait donner celle-ci, c’était précisément de se contenter du retrait de la candidature dans les conditions mêmes que le roi de Prusse avait prévues. Et puisqu’elle ne profitait pas de cet incident et de la détestable manœuvre bismarckienne pour soulever d’autres problèmes, comment aurait-on pu la sommer, en effet, de ne pas en soulever d’autres ? Mais comment M. de Bismarck aurait-il pu, une fois l’incident clos, demander des comptes pour le langage tenu, le 6 juillet, par M. de Gramont ?

Oui, ce langage avait été imprudent et déplorable, mais la machination de la candidature était bien offensante aussi, et lord Granville l’avait caractérisée en termes sévères lorsqu’il écrivait, le 6 juillet, à son ambassadeur à Berlin « que le secret avec lequel les négociations avaient été conduites entre le cabinet de Madrid et le prince qui avait été l’objet de son choix semblait incompatible, de la part de l’Espagne, avec les sentiments d’amitié et la réciprocité des bons rapports de nation à nation et avait donné une juste cause d’offenses. » Et la Prusse était évidemment complice, aussi bien que bénéficiaire, de la faute espagnole. Enfin, dans quelle situation M. de Bismarck, par ses récriminations rétrospectives, allait-il mettre le roi de Prusse lui-même ? Celui-ci, malgré le discours de M. de Gramont du 6 juillet, avait consenti à