Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’était jeter une pauvre plante débile dans une fontaine de pétrification. En fait, tous les souvenirs du passé remontèrent, et ce n’est pas sur l’Empire libéral que se prononça le pays : il se prononça pour l’Empire ou contre l’Empire. C’était ce qu’avaient voulu les hommes de l’absolutisme. En consentant, quoique avec répugnance, à cette procédure plébiscitaire, M. Émile Ollivier avait accepté d’être dupe. Au lendemain de cette épreuve, il n’avait plus qu’une ombre d’autorité. Or, il aurait eu besoin, pour conduire dans les voies de la paix la politique extérieure, d’un immense pouvoir, et d’une entière liberté d’action. Il ne suffisait pas en effet d’avoir avec la Prusse une tactique de ménagements et de prudence, il ne suffirait pas de dire, comme M. Émile Ollivier interviewé par un journal allemand : « Il n’y a pas de question allemande. » La question allemande subsistait toujours, et elle ne pouvait être résolue que par une déclaration de la France acceptant l’idée de l’unité allemande, et laissant aux Allemands toute liberté de régler eux-mêmes leur destinée. C’est en vain que le ministère du 2 janvier, pour marquer ses intentions pacifiques, avait proposé aux puissances et notamment à la Prusse, dès le mois de février, une limitation des armements.

Ce n’était et ne pouvait être qu’une parade, car la vraie, la redoutable question demeurait toujours. Après cette réduction simultanée des armements, la France permettrait-elle la constitution de l’unité allemande ? La Prusse refusa de laisser toucher à son institution militaire, et par là encore elle signifia à l’Europe et à la France qu’elle ne renonçait pas à son dessein sur l’Allemagne. La France et la Prusse étaient donc portées vers la guerre comme par le courant d’une eau lente, lourde et sombre, qui ne se hâtait pas, qui ne bouillonnait pas, mais qui pouvait soudain se précipiter et s’ensanglanter. Le plébiscite, qui fut un triomphe pour l’Empire, aggrava doublement le péril. D’abord il releva l’audace des partisans de l’absolutisme sans apaiser leurs inquiétudes. C’était un jeu dangereux d’être obligé de risquer tout l’Empire en ces vastes consultations pour corriger ou réprimer les imprudences des brouillons libéraux. Le plus sûr moyen d’en finir avec les velléités libérales ne serait-il pas de rétablir le prestige national de l’Empire discuté depuis Sadowa ? et l’on devine quelles imprudences, quels entraînements pouvaient naître de cette secrète pensée. Et puis, M. Émile Ollivier et sa politique n’étaient plus qu’une épave. Comment a-t-il pu (c’est là qu’est sa responsabilité effrayante) garder le semblant de pouvoir quand il n’en avait pas, quand il ne pouvait pas se flatter d’en avoir la réalité ? Comment, en restant au ministère, a-t-il endormi la vigilance du pays ?

Le signe de sa défaite, ou mieux de sa déchéance, c’est qu’il ait accepté que M. de Gramont remplaçât M. Daru au ministère des affaires étrangères. M. Daru s’était retiré en avril, pour ne pas s’associer à la politique du plébiscite. Qui donc appela au ministère M. de Gramont ? Il était l’homme de la coterie cléricale et belliqueuse. Depuis des années ambassadeur à Vienne, il