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En tout cas, cette sorte de manifeste du parti républicain en 1868 dégage, dans une large mesure, la responsabilité de la démocratie républicaine française. Elle avait, certes, commis bien des fautes ; elle n’avait pas compris, dès la première heure, le sens des événements. Elle n’avait pas vu le fond de patriotisme allemand qui soutenait les entreprises de la Prusse : elle avait eu des paroles de jalousie mesquine et de menace, et par là, elle avait grossi le fond des pensées haineuses accumulées dans les cœurs allemands. Mais sous la leçon des faits qui révélaient la complicité secrète de la conscience allemande avec la brutalité prussienne, et à la lumière des grandes idées de liberté et de paix, la démocratie républicaine de France se débarrassait de toute politique offensive, jalouse ou ambiguë. Désormais, ni l’Empire français, ni M. de Bismarck ne peuvent alléguer, pour justifier le recours à la force et aux aventures, que même les républicains de France n’acceptent pas l’unité allemande. L’Empire ne peut plus prétendre qu’il est obligé de chercher une revanche de Sadowa, puisque l’opposition lui reproche Sadowa comme une humiliation. Désormais la démocratie assume la responsabilité de l’acceptation des faits, et elle accueille ouvertement la pleine unité allemande. M. de Bismarck ne peut alléguer qu’il est contraint de brusquer les événements et qu’il n’a rien à attendre de l’évolution intérieure de la France puisque, même les ennemis de l’Empire, veulent empêcher l’unité allemande. Les républicains français ouvraient devant l’Empire et devant M. de Bismarck, devant la France et la Prusse et l’Europe, une large route de lumière et de paix.

Ce n’est pas seulement en son nom personnel que parlait Jules Favre, mais réellement au nom de toute la gauche, au nom de toute la France démocratique. Même les hommes comme le noble républicain et vigoureux penseur, Alphonse Peyrat, qui avait le plus vivement conseillé avant Sadowa une action de force contre la Prusse, même ceux-là comprenaient maintenant que toute politique de récrimination et d’hostilité ne pouvait faire que le jeu du despotisme ; et l’on peut suivre en ce sens, de 1865 à 1870, dans son journal l’Avenir national, le mouvement de sa pensée et de celle de ses amis. Il se refusait, tout d’abord, à solidariser la question italienne et la question allemande. Il adorait l’Italie nouvelle et il détestait M. de Bismarck : et ce fut pour lui un grand trouble quand il vit l’Italie se faire l’alliée de la Prusse. Son amour pour l’Italie n’en fut pas effleuré ; mais son hostilité contre la Prusse en fut, sinon atténuée, au moins gênée. Puis, la politique à la fois détestable et cohérente de M. Thiers qui combattait tout ensemble et pour les mêmes raisons l’unité italienne et l’unité allemande, rendit plus difficile encore à Alphonse Peyrat de maintenir sa position première. S’associer à M. Thiers dans la lutte contre l’unité allemande même réalisée par l’ambition prussienne, c’était le fortifier dans sa lutte contre l’unité italienne, c’était servir sans le vouloir le pouvoir temporel et la papauté oppressive qui multipliait les défis à l’esprit moderne. C’était d’ailleurs fournir au césarisme napoléonien des moyens de diversion. Alphonse Peyrat sera aux côtés