Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais elle souhaite que tous les États allemands s’unissent en une grande Allemagne, comme tous les États italiens s’unissent en une grande Italie.

Mais cette pleine unité allemande, Jules Favre l’aurait-il accepté en 1859 ? L’unité italienne et l’unité allemande étaient solidaires. Il n’était pas possible d’accomplir l’entière unité italienne si on ne se prêtait pas à l’entière unité allemande, car l’unité italienne accomplie contre l’Autriche, puissance en partie allemande, par un Napoléon, apparaissait à toute l’Allemagne comme une menace ; et ce n’est qu’en secondant délibérément l’unité allemande que la France pouvait effacer cette impression. Jules Favre, qui voulait la pleine unité italienne et non la pleine unité allemande, engageait la politique de la France dans une impasse. Et comment prétend-il, en 1866, dénouer le nœud de l’Italie et de la Prusse ? Il déclare que la France aurait dû, en menaçant l’Autriche, l’obliger à rétrocéder la Vénétie à l’Italie, et détourner ainsi de l’alliance prussienne le peuple italien. « Je faisais tout à l’heure à M. le Ministre d’État un reproche que je maintiens : c’est d’avoir souffert que la Prusse traitât avec l’Italie. M. le Ministre d’État vous disait que la France avait demandé l’ouverture d’un Congrès. Cela est vrai ; le cabinet était animé à ce moment des intentions les plus louables. Mais croire à l’efficacité d’un Congrès dans de semblables conditions, c’était, à mon sens, se nourrir de chimères.

« L’Autriche ne pouvait, par la simple persuasion, abandonner une de ses plus belles provinces ; mais si la France lui avait montré la pointe de son épée, à coup sûr elle n’eût point hésité. (Interruptions. — Mouvements divers.) Si le droit ordonnait à la France d’aller jusque-là, et M. le Ministre d’État l’a reconnu, la France portait la peine ou des résolutions ou des nécessités de Villafranca ; si la France souffrait parce que l’Italie, pour se compléter, avait des dispositions à se tourner du côté d’une autre puissance, c’était à elle à accomplir cette œuvre : elle ne devait pas en laisser le soin à la Prusse. Je suis convaincu. Messieurs, que si la France avait tenu ce langage net et ferme à l’Autriche, celle-ci n’aurait pas persévéré ; elle aurait cédé de grand cœur, et je suis autorisé à dire que des négociations avaient été ouvertes dans ce sens, et que l’Autriche a proposé, bien avant le mois de juin 1866, l’abandon de la Vénétie à la France, à la condition que la France la soutiendrait vis-à-vis de la Prusse. La France s’y est refusée précisément parce que le cabinet ne voulait prendre aucun parti, se réservait toutes les éventualités, attendant tout de la fortune, et vous voyez. Messieurs, combien peu ses prévisions ont été justes. »

Mais cette politique ne pouvait conduire qu’à un monstrueux attentat contre l’Allemagne ou à un lamentable avortement. Si l’Autriche et la France unies avaient écrasé la Prusse, que fût-il advenu ? Ou bien l’Autriche aurait voulu user jusqu’au bout de cet avantage et soumettre toute la Confédération germanique, y compris la Prusse, à la domination autrichienne : et c’était l’unité allemande, mais accomplie par la puissance la plus réactionnaire de l’Europe et par une puissance qui, n’étant allemande qu’à demi, aurait ravalé