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réunions publiques du soir furent levées sur un cri de vengeance. Émile Ollivier, inquiet, sentant venir l’orage, décréta dans la nuit l’arrestation du prince.

Le 11, la Marseillaise, encadrée de noir, appelait aux armes : « Voilà dix-huit ans, s’écriait Rochefort, que la France est entre les mains ensanglantées de ces coupe-jarrets qui, non contents de mitrailler les républicains dans les rues, les attirent dans des pièges immondes, pour les égorger à domicile. Peuple français, est-ce que décidément tu ne trouves pas qu’en voilà assez ? »

Le 12, deux cent mille hommes, venus à Neuilly où se trouvait le corps de Victor Noir, témoignaient qu’ils en avaient assez. Les troupes gardaient l’avenue des Champs-Élysées, prêtes à frapper, si le cortège revenait en insurrection vers Paris. Rochefort, chef dont elle attendait le mot d’ordre, recula devant la collision, devant le massacre à peu près certain.

Ce fut à Neuilly et non au Père-Lachaise que le corps de Victor Noir fut porté. Le soir, Gustave Flourens, l’homme de l’action, envoya sa démission au directeur de la Marseillaise.

Qu’avaient fait, pendant ces journées, les hommes de l’Internationale ? Leurs lettres montrent à la fois les espoirs et les inquiétudes qui les agitèrent. Tous, en nombre, membres de l’Internationale ou membres des sociétés ouvrières, « sans s’être donné le mot à l’avance », ils s’étaient rendus vers la petite maison de Neuilly et ils s’étaient trouvés divisés, comme Flourens et Rochefort, comme la foule entière, entre ces deux sentiments : livrer bataille ou attendre. (Troisième procès, p. 40). Les militants, Varlin, Malon, approuvèrent Rochefort de « n’avoir pas envoyé au massacre les meilleurs soldats de la Révolution » (Lettre de Varlin, ibidem, p. 39).

Mais, avec leur sûreté de vue et leur intelligence habituelles, ils tirèrent de la journée la leçon qu’elle comportait. Si Rochefort avait été de l’avis de Flourens, le peuple aurait marché sur Paris. « Les délégués de la Chambre fédérale s’émurent du danger qu’il y avait pour la cause populaire à abandonner ainsi la direction à un ou plusieurs hommes ». Des circonstances semblables pouvant se présenter, il fallait être prêt. « Il ne faut pas, écrivait Varlin, que la population ouvrière et socialiste soit exposée à ce que le mot d’ordre soit dans un quartier « combat » et dans un autre « situation » (sic). Pour éviter tout malentendu compromettant, et aussi pour empêcher que quelques individualités ne s’emparent du mouvement, nous avons décidé que désormais nous suivrions attentivement le mouvement politique et que, dans toutes occasions, nous nous consulterions sur ce qu’il y aurait à faire. Les esprits sont montés ; la révolution s’avance ; il ne faut pas nous laisser déborder ».

Les socialistes prirent donc leurs précautions. Non seulement, les délégués à la Chambre fédérale décidèrent que désormais ils donneraient aux sociétés un mot d’ordre unique. Mais Rochefort même, sur la demande de