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d’État se trouvaient compensées par le maintien de M. Forcade de la Roquette, l’homme des candidatures officielles. Mais, par une impertinence singulière, au moment même où il proclamait les droits nouveaux du Corps législatif, il le prorogeait, le 13 juillet, sans que seulement la vérification des pouvoirs fût terminée.

Sans doute le Sénat avait été convoqué d’urgence pour le 2 août ; sans doute encore le projet qui lui avait été soumis, loin de restreindre les promesses du message, les amplifiait, et, le 6 septembre, il n’avait rencontré contre lui que trois suffrages hostiles. Mais les tergiversations du pouvoir et toutes les réserves, toutes les contradictions constitutionnelles que le prince Napoléon avait signalées lui-même pendant la discussion au Sénat, n’étaient point propres à apaiser les républicains.

Ce que manifestait trop clairement la prorogation du Corps législatif, c’était une fois encore le mépris de ce suffrage universel, dont les républicains rassemblaient si péniblement les ruines et qu’ils voulaient restituer dans son ancienne force. Invoquant la loi fondamentale de 1852, M. de Kératry avait rappelé que le gouvernement, en cas de dissolution, devait convoquer la nouvelle assemblée dans le délai de six mois. Or, le décret de dissolution remontait au 27 avril : la pseudo-session, ouverte le 28 juin, ne pouvait compter ; la Chambre devait être convoquée le 20 octobre. Quelques députés s’associèrent à cette protestation. Gambetta écrivit le 1er octobre à l’Avenir national qu’il fallait « en finir avec d’inqualifiables résistances ». Le gouvernement répondit en convoquant les Chambres pour le 29 novembre. Cette date parut une bravade. L’animation grandit dans le parti républicain : Gambetta avait déclaré qu’il se rendrait le 26 octobre au lieu ordinaire des séances. On s’attendait à une journée.

Elle n’eut pas lieu ; les députés républicains avaient compris qu’ils allaient engager prématurément une grosse partie. Ils reculèrent. Mais les irréconciliables mêmes perdirent ainsi de leur prestige auprès des socialistes et des révolutionnaires les plus décidés.

Ceux-ci, en effet, avaient suivi avec une attention émue le mouvement révolutionnaire, dont les députés républicains avaient pris l’initiative. A Lyon, à Marseille, les membres de l’Internationale, revenus de Bâle, se préparaient à agir. Le 6 octobre, après la lettre de Gambetta, Bastelica écrivait à Richard : « Répondez-moi au plus tôt sur cette question : Pourrait-on compter sur Lyon pour faire une grève générale, le 26 octobre seulement ? » Brusquement, l’idée de la grève générale, de la grève révolutionnaire dont le prolétariat allait user comme de son moyen propre, dans la bataille politique, réapparaissait. Elle ne surgissait plus accidentellement de la cervelle d’un penseur, d’un journaliste aux idées ingénieuses, comme en 1852 ; elle procédait cette fois directement du mouvement ouvrier lui-même.

Plus que personne autre, parce qu’ils étaient plus prêts à l’action, les socialistes furent donc déçus. La journée du 20 octobre acheva de les séparer