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des Parisiens, qui voulaient se garder des intellectuels politiciens, elle avait examiné ce qu’il fallait entendre par « travailleur » ; et si elle n’avait pas décidé l’exclusion des étudiants et des journalistes, elle avait déclaré chaque section libre de donner au mot « travailleur » l’acception qu’elle jugerait convenable.

Peu d’événements marquèrent pour l’Internationale française l’année qui s’écoula de septembre 65 à septembre 66. La polémique avec Vésinier, poursuivie depuis Londres, — la protestation contre la guerre, dont nous avons parlé plus haut, — furent presque les seules démonstrations publiques. Mais « les Gravilliers » travaillaient. Ils lisaient, ils étudiaient, et dans leurs séances du jeudi soir, ils élaboraient consciencieusement le programme où ils voulaient résumer leurs doctrines. Ils venaient d’ailleurs de retrouver un nouvel organe. Tandis que la Rive Gauche, surtout par les articles de Lafargue, décrivait les grèves anglaises, signalait l’importance capitale de ces luttes de classes, et tâchait déjà de répandre en France les pensées directrices du Conseil général, les Internationaux du groupe parisien collaboraient au Courrier Français, devenu presque alors leur organe officiel.

L’heure est venue de résumer leurs doctrines. Ils les formulèrent dans un Mémoire adressé au Congrès de Genève, et où se trouvaient traitées les diverses questions de l’ordre du jour.

Dans un long préambule, les délégués parisiens rappelaient les caractères de la période nouvelle où entrait, selon eux, l’humanité : le Travail, la Démocratie veulent avoir leur existence propre ; ils ne veulent plus se traîner à la remorque de leurs patrons, « ni combattre follement pour le choix de leurs tyrans ». La Démocratie connaît maintenant la cause de ses défaites. C’est qu’elle n’était point « capable ». De même que la bourgeoisie n’a triomphé à la fin du XVIIIe siècle que lorsqu’elle était devenue « en talents, en science, en richesse, au moins l’égale de l’aristocratie, de même la classe ouvrière, « après quinze années de travail opiniâtre et de recherches laborieuses » tente maintenant de s’émanciper, et, cela, par l’Association internationale des travailleurs.

La question capitale qui se pose à elle, c’est celle des « relations du capital et du travail ». Le travail est l’acte par lequel l’homme s’approprie les forces de la nature, et transforme les matières premières qu’elle renferme, en sa propre substance. Le capital, c’est du travail accumulé. Le travail d’aujourd’hui vaut celui d’hier : l’échange doit être juste et réciproque entre travailleurs. L’intérêt de l’argent est illégitime, immoral. Tous doivent être obligés de travailler.

Comment réaliser cette société non utopique. « cette nation de travailleurs échangeant entre eux et pratiquant la réciprocité et la justice ? » — Avant tout, par le développement des facultés morales et matérielles des travailleurs, c’est-à-dire par l’instruction. Or cette instruction, elle ne peut être donnée par l’État. Avec Proudhon, qu’ils ont lu et relu, qu’ils citent et