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Delord, avait été de nouveau enfermé. C’est en prison que le Vieux connut les jeunes. « A Sainte-Pélagie, dit encore Lafargue, on rencontra heureusement un révolutionnaire, Blanqui. C’est lui qui nous a tranformés. Il nous a tous corrompus. Aussi un de ces démocrates joli-cœur disait qu’une des plus grandes fautes de l’Empire était d’avoir emprisonné Blanqui au milieu de la jeunesse. Il avait raison ». A son contact, les jeunes devinrent des révolutionnaires. Il leur avait donné le conseil de n’écouter jamais les vieux, pas même lui, « s’il leur disait des choses contraires à leurs propres aspirations ». Les préoccupations sociales des jeunes-n’étaient point pour lui déplaire : n’était-ce point un changement social qu’il voulait réaliser par le changement politique ? Mais il insistait, lui, sur la nécessité de la lutte politique, de la lutte religieuse aussi.

Avide de savoir, ardent à s’informer, à apprendre, il replaçait en effet sa conception de la justice sociale dans l’évolution générale. Il disait et répétait « que la grande question était celle de l’éducation, que l’œuvre à accomplir était de libérer la mentalité humaine de tous les despotismes et de tous les parasitismes d’idées, de préjugés, d’habitudes, de manies héréditaires » (G. Geffroy, L’Enfermé, p. 243). Athée et matérialiste, il se trouvait par là en harmonie avec les tendances des jeunes révolutionnaires.

Car c’est là un dernier trait : les jeunes ne sont plus anti-cléricaux à la manière de M. Havin. Ils ne se contentent pas de déclamer contre les Jésuites. Ils s’attaquent au christianisme, ou même au vague théisme de 48 : ils lisent les livres de Büchner, de Moleschott, de Virchow, des grands matérialistes étrangers, et ils demandent à ces savants de publier sous leurs auspices une Revue encyclopédique. En mai 1865, ils rédigent avec Blanqui lui-même un audacieux journal : Candide. Tridon, E. Villeneuve, Watteau, Onimus et le baron de Ponnat, ce d’Holbach du second Empire, y collaborent. Blanqui, on le sait, signe Suzamel. Tous guerroient contre le surnaturel, montrent l’origine humaine de la morale, dénoncent les méfaits du monothéisme sémitique. Au Congrès de Liège, Congrès international d’étudiants, quelques mois plus tard, Germain Casse, Regnard, Tridon, Lafargue affirmaient hardiment leurs idées anti-religieuses. « La science, disait Lafargue, ne nie pas Dieu ; elle fait mieux : elle le rend inutile » (octobre 1865).

C’est dans le même Congrès que Léon Fontaine, un des collaborateurs belges de la Rive Gauche, résumait pour ainsi dire la profession de foi de la jeunesse dans les termes suivants : « Dans l’ordre moral, nous voulons par l’anéantissement de tous les préjugés et de l’Église, arriver à la négation de Dieu et au libre examen ; dans l’ordre politique, nous voulons, par la réalisation de l’idée républicaine, arriver à la fédération des peuples et à la solidarité des individus ; dans l’ordre social, nous voulons, par la transformation de la propriété, l’abolition de l’hérédité et la suppression du salariat, arriver à la solidarité, à la justice ».