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au présent, il ne dissimula point ses déceptions : « Des points noirs, disait-il, sont venus assombrir notre horizon. De même que la bonne fortune ne m’a pas ébloui, de même des revers passagers ne me décourageront pas ». L’opinion, anxieuse, ne s’occupa pendant quelques jours que des points noirs. Déshabituée de la véritable indépendance, désemparée, par la politique secrète du souverain, par ses coups d’État et ses coups de théâtre, elle s’émouvait ainsi désormais au moindre mot. Au moment même ou rien d’immédiat ne devait troubler les esprits, ils s’inquiétaient tout d’un coup, sentant vaguement depuis 1866 que quelque chose toujours menaçait. Le 23 octobre, François-Joseph était acclamé, dans une visite à Paris, comme aucun autre souverain ne l’avait été. Et son appel à l’union des deux nations longtemps divisées, à une alliance qui devait « offrir un nouveau gage de cette paix sans laquelle les nations ne sauraient prospérer », remuait bien des cœurs.

Mais, pour que l’alliance autrichienne pût être utile, il fallait qu’elle se traduisit en stipulations précises ; pour qu’elle garantit vraiment l’équilibre nouveau des États et la paix de l’Europe contre les ambitions allemandes, il fallait qu’elle fût complétée par l’alliance italienne, il fallait que l’Italie fût détachée des ambitions germaniques. Or, par une sorte de fatalité, c’était encore une fois la question romaine qui allait empêcher l’œuvre de réparation si laborieusement commencée et qui allait bien au contraire précipiter la décadence impériale.

Pendant la guerre austro-prussienne, l’Italie, nous l’avons vu, avait été battue à Custozza. Mais l’Autriche, écrasée quelques jours plus tard à Sadowa, lui avait offert la Vénétie par l’intermédiaire de Napoléon III. Le gouvernement italien n’avait pas accepté immédiatement la paix. Il cherchait une revanche : il ne trouva qu’une nouvelle défaite, sur mer, à Lissa (20 juillet 1866).

Mais les prétentions des Italiens croissaient avec leurs défaites. Ils avaient accueilli froidement l’offre de la France : ils étaient las de ses cadeaux incomplets. La Vénétie ne leur suffisait point. Ils voulaient le Tyrol italien, l’Istrie, toute l’Italie non affranchie, irredenta, comme ils disaient.

Ils avaient accepté sans reconnaissance la Vénétie et, l’imagination aidant, le vote des populations leur faisait croire que l’annexion était bien le fait de leur volonté. Victor-Emmanuel avait dû sacrifier la Marmora, le ministre cher à Napoléon III (août 1866). Des hommes nouveaux, des hommes de Milan, des Romagnes, de Florence, prenaient la direction du mouvement unitaire et le pouvoir. L’alliance avec la France se changeait en haine ; on oubliait les sacrifices faits, jusques et y compris cette renonciation à une médiation armée, après Sadowa, renonciation due en partie à la préoccupation de ne pas desservir l’Italie. Celle-ci ne pensait plus qu’aux obstacles mis par la France à la réalisation des grandes idées unitaires.

Par un effet naturel, les patriotes italiens,ayant une demi-satisfaction du