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consultation avait eu lieu en février ; en mai, le cabinet de Berlin n’en avait pas encore tenu compte, et il parlait maintenant d’établir exactement la frontière du Jutland et du Nord-Schleswig. Le 25 juillet, sur la demande du roi de Danemark et surtout « pour éviter une surexcitation de l’opinion en France », l’Empereur faisait remettre une note à Berlin. Le lendemain, la note était publiée par les journaux allemands et le gouvernement prussien signifiait à la France qu’il ne lui permettrait pas d’intervenir dans les affaires germaniques. D’humiliation en humiliation, on pouvait se demander jusqu’où tomberait le prestige français.

Il devenait de plus en plus évident que la poussée du patriotisme germanique allait se heurter un jour ou l’autre au chauvinisme français. « Il reste la question allemande, écrivait en mai 1867, après le règlement dé l’affaire du Luxembourg le clairvoyant M. Rothan…. La guerre a été conjurée, mais le gouvernement de l’Empereur doit s’attendre à une lutte fatale et peut-être inégale ».

Un moment, Napoléon III parut le comprendre. Il se préoccupait au milieu de 1867 de reconstituer l’armée ; Chassepot inventait son fusil ; Trochu venait de publier son livre sur l’Armée française et on semblait disposé à tenir compte de ses critiques. On expérimentait les premières mitrailleuses, dont « l’aboiement » devait démoraliser l’ennemi. L’Empereur lui-même, retrouvant quelques forces, se mettait à l’œuvre. Comme naguère à la veille de l’expédition du Mexique, il se préoccupait des questions militaires, de la réorganisation de l’armée ; et chose plus importante encore, il tentait de retrouver des alliances, de faire cesser l’isolement de la France. Quelque temps, lors du voyage d’Alexandre II en France, il avait espéré rétablir les relations cordiales avec la Russie, l’entente rompue en 1864, lors de l’insurrection polonaise. Mais l’attentat du Polonais Berezowski qui avait tiré sur le Tsar, au bois de Boulogne, était venu raviver les plus cruels souvenirs et le verdict avec circonstances atténuantes du jury parisien avait anéanti l’espérance d’une nouvelle entente franco-russe,

Brusquement alors, en avril, prenant le parti que lui avait conseillé depuis si longtemps M. Drouin de Lhuys, Napoléon III recherchait l’alliance autrichienne. Le 18 août, il s’en allait à Salzbourg visiter officiellement François-Joseph, et si les ministres des deux souverains se défendaient également de vouloir intervenir dans les affaires allemandes, ces relations nouvelles n’en semblaient pas moins aux Français une espérance de revanche. La Gazette de l’Allemagne du Nord et la Gazette de la Croix, les journaux officieux du cabinet de Berlin, avaient âprement dénoncé ce rapprochement, et le patriotisme germanique s’était ému.

Mais, malgré cette entente, l’Empereur demeurait inquiet, mélancolique. Comme il revenait de Salzbourg et visitait la Flandre, il fit publiquement son examen de conscience, rappela le temps de son premier voyage à Lille, au lendemain de son mariage, « le temps où tout souriait à ses désirs ». Puis, passant