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rappelait le mot de Napoléon : « Dans un siècle, l’Europe sera républicaine ou Cosaque », et il montrait « le principe cosaque incarné en la personne de M. de Bismarck ». « Les seules conditions réelles de l’équilibre européen, disait-il encore le 17 juin 1866, c’est que l’Italie soit libre, c’est que les peuples allemands soient libres, c’est que la France soit libre, c’est que toutes les nations jouissent également d’une somme suffisante de liberté, qui leur procure une grandeur et une prospérité équivalente, et qui substitue aux antagonismes du présent les liens harmoniques d’une solidarité durable entre les nations.

« Les conditions de l’équilibre européen, c’est que l’ignorance et la misère, avec tous les maux sociaux qu’elles entraînent après elles, disparaissent de la surface du continent.

« Ce but seulement est capable d’émouvoir les peuples et de provoquer de leur part des efforts et des sacrifices.

« Ce n’est qu’à la condition de jeter cette idée supérieure au-dessus des mesquines rivalités qui nous agitent que l’on parviendra à dominer la situation ».

Hélas ! l’avertissement socialiste, pas plus que celui de Thiers, ne fut entendu. Depuis des années que les bonapartistes libéraux travaillaient l’opinion, ils avaient réveillé tous les instincts nationalistes, toutes les idées de gloire et de prépondérance. Et, en ce mois de mai 66, l’opinion inquiète, mais toujours dirigée par eux, réclamait de l’Empereur des satisfactions, de la gloire encore et des agrandissements.

Pour les lui donner, l’Empereur, engagé avec l’Italie et la Prusse, devait s’associer à l’entreprise, y chercher résolument son profit. Bismarck s’y attendait bien. « L’Empereur, disait-il en avril au général italien Govone, désire une grande guerre allemande, parce qu’à la tête d’une armée comme l’armée française, on peut toujours trouver sa part de profit ». Mais si la majorité de l’opinion française réclamait une intervention dans le grand conflit qui s’ouvrait, contre la guerre en elle-même, une dernière opposition se manifestait. Fould savait combien toutes les expéditions antérieures avaient compromis les finances et il avait déclaré, en écoutant le discours de Thiers, « qu’il n’avait jamais rien entendu d’aussi fort ni d’aussi beau ». Les classes riches étaient opposées à la guerre, et à leur tête les financiers, les hommes d’affaires. Un moment, l’Empereur avait espéré donner satisfaction à tout le monde par un Congrès. Sans guerre, un Congrès européen eût donné à la Prusse plus d’homogénéité et de force dans le Nord, à l’Italie la Vénétie, à la France des compensations, des annexions. Le refus de l’Autriche (2 juin) empêcha le Congrès de se réunir. Napoléon III, n’osant risquer la guerre, attendit des hasards de la lutte austro-prussienne les indemnités espérées. Il les attendait surtout de l’épuisement des belligérants, à qui, bientôt, pensait-il, il imposerait la paix.

En apprenant que l’Autriche repoussait l’invitation de la France à un