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contre la guerre, depuis les articles de la Gazette de France jusqu’à ceux de Cucheval-Clarigny du Siècle ou de Michel Chevalier, le conseiller pacifiste de l’Empereur, qui venait dans un article sensationnel de la Revue des Deux-Mondes de préconiser le désarmement général et l’entente des peuples européens dans une Confédération comparable à celle d’outre-Atlantique. Au jour le jour, d’après les correspondances d’Allemagne et d’Italie, ils relataient « les abominations de la guerre ». Et Jules Vallès, en des pages virulentes, stigmatisait ce qu’on appelle la gloire ou l’héroïsme.

Mais, ce qu’il faut bien marquer, c’est que les socialistes de 1866 ne se bornent pas à cette protestation humaine contre la sauvagerie de la guerre. Si les étudiants démocrates et les ouvriers de l’Internationale, mènent cette campagne vigoureuse et obstinée, c’est qu’ils sentent clairement ce que seront, pendant la lutte même ou au lendemain d’une victoire, les conséquences d’une guerre. C’est que la guerre est en contradiction directe, immédiate, avec l’œuvre de libération politique ou d’émancipation sociale qu’ils poursuivent. La guerre même faite au nom de « l’unité », au nom de « l’indépendance », c’est fatalement « l’accroissement de la souveraineté de quelques princes au détriment de la souveraineté populaire » ; la guerre c’est l’arrêt de la démocratie ; la guerre, enfin, comme l’écrit Vermorel, « c’est la contre-révolution » (1er juillet 66). Plus précisément encore, dans un article de la Rive Gauche du même jour, notre camarade Paul Lafargue montrait comment une fois encore l’Empire allait être sauvé par la guerre. En 1857, disait-il, au moment où l’Empire était menacé par les premiers mécontentements populaires, la guerre d’Italie était venue le consolider, en lui rendant l’affection des libéraux. En 1863, après les élections, l’expédition mexicaine, d’abord heureuse, avait flatté le chauvinisme français, retardé une fois encore la lutte contre un régime détesté. Et voilà qu’au moment même où le mouvement renaissait, où Thiers et Boissy dénonçaient la banqueroute imminente, « voilà que tout d’un coup, l’air se remplit de cris de guerre, et la malheureuse question italienne qui fait son apparition ; voilà que maintenant tout le monde fait volte-face et laisse l’Empire faire son petit train-train tout seul et laver son linge sale. La guerre va enterrer le Mexique et consolider l’Empire pour longtemps ». Et cela est si vrai, continue Lafargue, que les bonapartistes libéraux à la Guéroult montrent à l’Empereur que ce sont ses ennemis qui s’opposent à la guerre, alors que les bonapartistes la désirent. « Avions-nous tort, riposte le socialiste, lorsque nous disions que ceux qui excitent à la guerre sont contre-révolutionnaires et nuisibles ? »

Des républicains se laissent encore duper par leurs sympathies pour l’unité et pour l’indépendance italiennes : ils ne peuvent se résigner à abandonner la nation sœur. Hardiment les socialistes s’opposent à ce dernier préjugé. « La guerre italienne a deux fois sauvé l’Empire, s’écrie Lafargue dans cette forme outrancière et heurtante qui fait de lui un si heureux pro-