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Mais l’intervention italienne et la question romaine, les démarches diplomatiques en faveur des peuples opprimées, les expéditions lointaines pour la défense catholique et la propagande des missionnaires, avaient détaché de la France ou tourné contre elle la plupart des nations. Préoccupé comme il l’était de rallier ses sujets par la gloire, Napoléon III avait renoncé à suivre la politique de sagesse et de prudence qui avait établi son influence en 1856 et qui eût garanti à la France une situation extérieure hors de pair. Il avait proclamé à toute occasion que les traités de 1815 avaient fait leur temps, que le principe des nationalités ou le principe des frontières naturelles devaient présider à un remanîment de l’Europe, et ses interventions multipliées avait fait redouter souvent que le nouveau Napoléon ne bouleversât le monde comme le premier. Mais il connaissait trop les ambitions, les convoitises et les susceptibilités des diverses races, pour ne pas redouter les coalitions qu’une réalisation audacieuse des idées napoléoniennes auraient formées contre lui. Constamment pris entre ses rêves ou son perpétuel désir de satisfaire les partis et, d’autre part, la crainte de déchaîner une guerre européenne, le pitoyable souverain, bientôt fatigué et malade, par ses demi-décisions, par ses timidités et ses incertitudes, acheva en quelques années, de compromettre la France et de ruiner son trône.

Dès la fin de 1863, la France était, à l’extérieur, dans la situation la plus étrange, la plus risquée. Par ses expéditions coloniales, par ses interventions diplomatiques, elle se trouvait engagée, sur tous les points du globe, dans tous les problèmes, sans qu’elle pût désormais compter sur une alliance.

Ses entreprises coloniales avaient inquiété l’Angleterre : celle-ci suivait d’un regard jaloux, mais bientôt satisfait, l’aventure mexicaine, ou par ses surenchères libérales, s’ingéniait d’autre part à brouiller la France avec les jeunes nations dont elle cherchait la clientèle. L’amitié russe, que Napoléon III avait entretenue depuis 1856, s’était trouvée brusquement rompue par son intervention maladroite et incomplète en faveur des Polonais. Les relations avec l’Espagne, depuis la rupture de la Convention de Londres (p. 136), étaient plutôt tendues ; et les États-Unis n’attendaient que d’être soulagés de leurs luttes intestines, pour signifier à la France qu’ils ne toléreraient pas d’Empire étranger sur le continent américain. L’Autriche ne pouvait que garder rancune à l’auxiliaire de l’Italie, au gouvernement qui lançait contre elle les libéraux de tous les pays, et la Prusse, dont M. de Bismarck faisait peu à peu la protectrice et l’avocat du patriotisme germanique, ne pouvait se compromettre par une alliance outre-Rhin. Restait enfin l’Italie ; mais le revirement brusque de la politique française, à la veille des élections de 1863, avait suffi à lui faire oublier le service rendu en 1859 et à tourner déjà contre nous le patriotisme populaire, tandis que le Saint-Siège, incapable de se défendre lui-même, réclamait sans cesse, pour sa sécurité, des garanties nouvelles.