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3° Que de cette idée, enfin posée comme profession de foi, il puisse, selon le besoin et la diversité des circonstances, déduire toujours des conclusions pratiques ». (P. 40).

La classe ouvrière, on pouvait le proclamer après le manifeste des Soixante, venait de prendre conscience d’elle-même. Son idée — une idée correspondant à la conscience qu’elle avait d’elle-même, et « en parfait contraste avec l’idée bourgeoise » — elle la possédait ; elle ne lui était pourtant qu’incomplètement révélée. Mais la classe ouvrière n’avait point encore déduit de cette idée « une pratique générale conforme ; une politique appropriée : témoin son vote en commun avec la bourgeoisie ; témoin ses préjugés politiques ». (P. 43)

C’était là l’exacte vérité historique : Proudhon, par son livre, Marx, à Londres, par son action quotidienne dans l’Association nouvelle, allaient tenter de révéler à la classe ouvrière l’idée qui convenait à sa conscience. Mais ils ne pouvaient que l’aider à la découvrir elle-même : c’était par ses luttes, par ses grèves, par ses batailles politiques, par son expérience propre enfin, que la classe ouvrière devait dégager son idée ; c’était dans les Congrès où Proudhoniens et Marxistes allaient se heurter, qu’elle allait tenter de définir elle-même l’idée commune où s’exprimerait sa conscience. Mais les théories abstraites avaient vécu : seules désormais, avaient chance d’exercer une action, celles qui demeuraient conformes à la conscience, aux besoins clairement sentis de la classe ouvrière.



CHAPITRE V


LE DÉCLIN


1864 - 1867


Au moment où la classe ouvrière prenait ainsi conscience d’elle-même, s’organisait et reparlait déjà de son émancipation totale, l’Empire entrait en décadence. Les élections de 1863, à vrai dire, n’avaient point été de nature à l’ébranler : seuls les proscrits de Londres et quelques vieux de 1848 avaient pu croire alors à l’imminence de sa chute. Si la situation extérieure était restée bonne, si la France avait pu conserver le prestige de 1856, si l’Empereur avait su, au milieu de tous les soupçons et de toutes les inquiétudes, exercer le rôle glorieux d’un arbitre impartial et désintéressé, quelques concessions libérales eussent suffi sans doute pour rallier la masse des anciens partis parlementaires et pour opposer bientôt la cohésion d’une bourgeoisie impérialiste aux premiers efforts du prolétariat républicain et socialiste.