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« Travailleurs de tous pays qui voulez être libres, à votre tour d’avoir des Congrès. C’est le peuple qui revient enfin sur la scène, ayant conscience de sa force, et se dressant en face de la tyrannie dans l’ordre politique, en face du monopole, du privilège dans l’ordre économique.

« Depuis longtemps, grâce aux découvertes scientifiques, l’industrie développe chaque jour sa production ; l’emploi des machines, en facilitant la division du travail, augmente sa puissance, tandis que des traités de commerce, inspirés par la doctrine du libre-échange, lui ouvrent partout de nouveaux débouchés.

« Progrès industriel, division du travail, libre-échange, tels sont les points qui doivent aujourd’hui fixer notre attention ; car ils vont modifier profondément les conditions économiques de la société. Poussés par les besoins du temps, par la force des choses, les capitaux se concentrent et s’organisent en puissantes associations financières et industrielles. Si nous n’y prenons garde, cette force sans contrepoids régnera bientôt despotiquement.

« Sans vouloir relever ce qu’a trop souvent de dérisoire le conseil qu’on nous prodigue : « Économisez », nous voyons l’aristocratie future accaparer la direction des plus modestes épargnes. Inspirée par un sentiment charitable et par le besoin de nous protéger quand même, elle excelle à l’aide de mille moyens ingénieux à enlever au travailleur le maniement de son mince capital, au lieu d’exciter chez lui l’esprit d’initiative. Nos faibles économies, englouties dans ce Pactole, nous feraient les serviteurs des princes de la finance, tandis que la division du travail tend à faire de chaque ouvrier un rouage dans la main des hauts barons de l’industrie.

« Devant cette organisation puissante et savante, tout plie, tout cède, l’homme isolé n’est rien ; il sent tous les jours diminuer sa liberté d’action et son indépendance. Devant cette organisation, l’initiative individuelle s’éteint ou se discipline au profit de cette organisation.

« Le travail est la loi de l’humanité, la source de la richesse publique, la base légitime de la propriété individuelle. Il doit être sacré, libre.

« Or, quoi qu’en disent aujourd’hui les grands prêtres de l’économie politique et sociale, nous affirmons qu’il ne l’est pas. Savants théoriciens courbés sur de gros livres, ils formulent des axiomes qui reçoivent, à nos dépens, de cruels démentis. Ils semblent ne vouloir regarder le problème que par un bout de la lorgnette, celui de la consommation. En vertu de la loi de l’offre et de la demande — l’ouvrier est assimilé par eux à un produit manufacturé — un illustre homme d’État de l’Angleterre n’a-t-il pas dit : « Quand deux patrons courent après un ouvrier, le salaire monte. Quand deux ouvriers courent après un patron, le salaire baisse » ? Quand le capital, ce fécond auxiliaire du travail, devient son dominateur implacable ou réduit le travailleur à la famine, on appelle cela l’échange des services, la liberté des transactions ! Quand, placé dans des conditions défavorables, l’industriel